La neutralité des réseaux sur Internet était, depuis la création de ce dernier, une sorte de règle tacite. Elle semble sur le point d’être battue en brèche.

Des fournisseurs d’accès à Internet—les fameux FAI—outre-Atlantique réfléchissent très sérieusement à une alternative à l’Internet actuel, une sorte de réseau-bis, où leurs services seraient privilégiés par rapport à ceux de leurs concurrents. L’idée n’est pas nouvelle, et certains pays émergents ont déjà émis une telle proposition lors du récent Sommet de Tunis. Cette fois, pourtant, le projet pourrait aboutir, car les autorités américaines y prêtent une oreille attentive, sinon complaisante.

Aux débuts commerciaux d’Internet, vers le milieu des années 1990, les mots-clés étaient ‘’connectivité’’ et ‘’contenu’’ : les principaux FAI devaient développer leurs réseaux physiques—pour l’essentiel, Internet empruntait des lignes téléphoniques terrestres--, contrer les arguments commerciaux de leurs concurrents, et jongler avec tous ces paramètres afin de s’assurer que leur infrastructure permettait une croissance soutenue.

Le contenu était quant à lui essentiellement propriétaire : chaque FAI développait ses propres services, et faisait assaut d’ingéniosité pour retenir ses clients en leur fournissant toujours plus de nouvelles fonctionnalités. Le but était officiellement de présenter une palette de produits susceptible de satisfaire tout le monde, mais les intentions cachées étaient bien entendu de se créer une clientèle captive, qui aurait du mal, si elle changeait de FAI, à conserver les services qu’elle avait appris à apprécier. L’exemple le plus frappant de cette stratégie commerciale nous est évidemment donné par AOL (America OnLine, à l’époque), qui est devenu le premier fournisseur d’accès à Internet du monde par ce biais.

La montée en puissance de solutions libres—et souvent gratuites—en contrepoint des propositions propriétaires à quelque peu changé la donne : les navigateurs Internet, clients e-mail, logiciels de création en ligne et autres moteurs de recherches se sont multipliées, apportant une richesse de contenu et de fonctionnalités que les FAI ne pouvaient endiguer, à moins d’y laisser leur chemise. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils ont progressivement ouvert leurs réseaux à ces alternatives, donnant à Internet la mixité que nous connaissons et apprécions.

Toutefois, les fournisseurs d’accès, notamment nord-américains, n’ont pas tout à fait renoncé à leurs rêves de domination. Les exemples se sont multipliés, ces derniers temps, tant au Canada qu’aux Etats-Unis, où certaines compagnies ont tenté d’empêcher des services aussi populaires que Skype d’accèder à leurs réseaux, limitant la bande passante accordées à ces programmes jusqu’à les rendre inefficaces.

La VoIP (Voice over Internet Protocol) est sans doute le prochain Eldorado sur Internet, et le succès de logiciels gratuits, légers et pratiques comme Skype y est certainement pour quelque chose. Il coupe aussi l’herbe sous le pied des fournisseurs d’accès, qui aimeraient apprivoiser cette poule aux œufs d’or. La concurrence de solutions logicielles gratuites ou à petit prix ne les aide évidemment pas dans leur démarche…

L’idée fait donc son chemin, dans les conseils d’administrations des principaux FAI, et chez certaines compagnies d’infrastructure réseau : mettre en place une sorte d’Internet-bis, sur lequel ils auraient la mainmise, dont le modèle économique reste pour l’instant vaporeux (sera-t-il financé par la publicité ' qui y souscrira, après avoir goûté à la ‘’liberté’’ de l’Internet actuel '), mais dont les perspectives financières sont indéniablement séduisantes. En créant un club fermé, où l’accès serait strictement réglementé, les intéressés espèrent bloquer les solutions dévoreuses de bénéfices que sont les réseaux d’échange de fichiers (comme le P2P, par exemple), les logiciels de messagerie instantanée qui autorisent les appels téléphoniques, leur permettant accéder à ce réseau-bis sous certaines conditions, et augmentant par là même leurs revenus.

La suite logique d’une telle ségrégation serait l’interdiction de certains sites en fonction d’autres critères, comme leur activité : ainsi, le FAI canadien Telus a-t-il récemment bloqué l’accès au site Voice For Change, qui se veut le vecteur de communication de certains syndicats. Telus a indiqué qu’il s’agissait d’une action isolée, et non du point de départ d’une nouvelle politique, mais a dans la foulée bloqué 600 autres sites hébergé sur un serveur partageant la même adresse IP que Voice For Change.

Des firmes comme BellSouth et AT & T, aux Etats-Unis, ou Rogers et Videotron, au Canada, nourrissent de tels desseins, et entrevoient même un modèle où les géants tels que Yahoo et Google feraient monter les enchères pour voir leurs pages se charger plus vite que celles de la concurrence, à condition bien sûr d’y mettre le prix…

La nouveauté pourrait venir du fait que, cette fois, le Congrès des Etats-Unis semble décidé à écouter ces promoteurs d’un Internet des riches, jetant aux orties la sacro-sainte ( ') neutralité du Réseau des Réseaux.

L’utilisateur final devrait-il se réjouir d’un tel ‘’progrès’’ '



Source : Slashdot