Les téléphones mobiles sont devenus des accessoires indispensables, mais ils peuvent aussi donner des indications sur tous nos faits et gestes. Aux Etats-Unis, une polémique est en train de naître à ce sujet. En France, on commence tout juste à prendre la mesure de la situation...

En l'espace de quelques mois, outre-Atlantique, trois décisions de justice sont venus semer le trouble sur la légitimité d'une pratique qui ressemblait pourtant, depuis les attentats du 11 septembre 2001, à une cause entendue : le fait, pour un service de police ou de renseignement, de suivre un individu à la trace en se servant des signaux émis par son téléphone mobile.

Par exemple, le 25 août dernier, le juge James Orenstein, à New-York, rejetait une demande transmise par le FBI, qui réclamait le droit de placer le téléphone d'un terroriste présumé sous surveillance électronique, non dans le but d'écouter ses communications--ce qui, malgré quelques avis contradictoires de différentes juridictions américaines, reste légal--mais simplement de suivre ses déplacements. Cette technique, baptisée e-tracking ( contraction des mots "electronic tracking", pour traque électonique ), est facilitée par le maillage serrée des relais de téléphonie mobile, surtout en zone urbaine, et permet de mener une filature sur un suspect sans trop s'en approcher, limitant le risque de se faire repérer. Evidemment, si la "cible" se sait poursuivie, et glisse son mobile dans le sac à main d'une passante qui rentre chez elle, en banlieue...

Les agences gouvernementales et les forces de police américaines ne se sont pas découragées pour autant, et continuent de bombarder les juges avec des demandes similaires. Le 14 octobre 2005, le juge Stephen Smith, exerçant au Texas, rejetait à son tour une requête d'e-tracking, mais deux mois plus tard, un autre magistrat, l'Honorable Gabriel Gorenstein de New-York, donnait raison aux policiers qui lui demandait l'autorisation de suivre à la trace un trafiquant de drogue présumé, jetant à bas le bel édifice de défense des libertés individuelles dont les deux précédents juges s'étaient faits les champions.

L'affaire est donc pour le moins confuse, et tout le monde retient son souffle en attendant que la Cour Suprême des Etats-Unis rendent son avis sur la question. Les avis sont partagés, tant du côté des autorités, qui voudraient ne plus avoir à argumenter leurs demandes à chaque fois, mais sont également conscientes que dans un pays où toutes les décisions de justices sont décortiquées jusqu'à plus soif, une simple erreur de procédure peut conduire à la libération d'un suspect que tout désigne comme coupable. Même les associations de défense des libertés individuelles hésitent, coincées qu'elles sont entre le désir de voir la vie privée des citoyens rester... privée, et la nécessité de collaborer avec les forces de polices, ne serait-ce que pour éviter un nouveau 11 septembre.

Certains, dans les deux camps, conçoivent qu'en cas d'extrême urgence, comme un kidnapping d'enfant, par exemple, une autorisation d'e-tracking pourrait être accordée pour une durée limitée, à charge pour la police ou les autorités fédérales de justifier leur demande par la suite. Sur le plan technique aussi, les avis sont partagés : il est relativement facile de situer un utilisateur de mobile quand il téléphone, mais lorsque son appareil est simplement allumé, c'est une autre paire de manches. Les opérateurs eux-mêmes sont réticents, estimant que cela représente pour eux une surcharge de travail, et risque d'entamer leur crédibilité auprès de leurs clients. Aucun d'entre eux ne veut être le premier à devancer les désirs des autorités, et ainsi passer pour des mouchards, mais sont aussi conscient que traîner les pieds les desservirait.

Evidemment, lorsque les téléphones mobiles sont pourvus d'une fonction de localisation par GPS ( Global Positioning System ), c'est tout de même plus facile pour tout le monde, puisqu'en recourant à un service dont la fonction première est de permettre une situation précise dans l'espace, les utilisateurs renoncent de fait à garder pour eux leurs déplacements. C'est du moins l'opinion qui prévaut en ce moment aux Etats-Unis, mais rien ne dit que les choses resteront en l'état...

Et chez nous, me direz-vous ' En France, les choses sont relativement simples : toute écoute de conversations téléphoniques, sur une ligne terrestre ou par voie cellulaire, ne peut se faire que sur commission rogatoire, c'est-à-dire à la demande d'un juge d'instruction ou du Parquet. La localisation géographique au moyen des émissions d'un téléphone portable est un cas plus vaporeux, lui aussi théoriquement encadré sur le plan juridique, mais laissé à la libre appréciation du magistrat instructeur, par exemple. Le Code de Procédure Pénale, dans les articles 100 et suivants, ne mentionne pas ce cas de figure, mais ne l'interdit pas non plus, sans doute parce qu'à l'époque où il a été partiellement reécrit, il y a six ans, ces technologies n'étaient pas aussi au point qu'elles le sont aujourd'hui. Comme souvent, le législateur n'a pas anticipé le progrès technique et, ce faisant, a laissé grande ouverte une porte dans laquelle tout un chacun peut désormais s'engouffrer : le Parquet peut décider, en fonction des dispositions existantes, d'interpréter les textes à son avantage, tandis que les avocats de la défense peuvent les contester, mais, sauf à en faire usage dans un tribunal, les résultats des interceptions resteront le plus souvent secrets. Enfin, on peut l'espérer...

On n'arrête pas le progrès, paraît-il...



Source : CNET News