Freescale est la grande discrète de l'informatique moderne: elle fabrique les processeurs PowerPC/G4 qui équipent un grand nombre d'ordinateurs Apple, et pourtant, son nom n'évoque pas grand-chose pour le grand public. Son PDG tente de la faire sortir de son relatif anonymat.

Motorola a fondé—au sens littéral, et financier, du terme—la firme Freescale, en juillet 2004, et cette dernière a réalisé un chiffre d'affaire global de 6 milliards de dollars US cette année là.

Aujourd'hui, le fondeur texan fait partie du club fermé des dix plus importants fabricants de processeurs. Pourtant, lorsqu'on organise un micro-trottoir, on enregistre beaucoup de regards vides et de moues interrogatives: le nom de Freescale est quasi-inconnu, même dans son propre pays. Les initiés savent que Freescale équipe en processeurs G4 (appelés PowerPC dans l'inventaire maison) les ordinateurs d'Apple, mais ils ignorent souvent que la firme d'Austin, Texas, à 10.000 autres clients à travers le monde, dont les 10 plus grands constructeurs automobiles de la planète.

L'accord liant Apple à Freescale court jusqu'à fin 2008, mais il est permis de se demander quel avenir le fondeur réserve à sa gamme actuelle de processeurs, à travers son accord avec Cadence Design Systems—simplement surnommé Cadence en interne--, sans compter sa future intégration de CommASIC, une jeune firme de San Diego que Freescale a acquise récemment.

Michel Mayer, PDG de Freescale, à travers une interview accordée à notre confrère américain Michael Singer, de CNET, nous livre le fond de sa pensée sur un certain nombre de points, et nous permet au passage de mieux connaître sa société.

Votre serviteur a eu le plaisir d'assurer la traduction… En voiture!

"CNET: comptez-vous confier à Cadence la production de toutes vos puces, depuis les PowerPC jusqu'aux unités destinées aux appareils mobiles'

Mayer: oui, toutes, y compris celles qui équipent les appareils analogiques.

CNET: combien de réaménagements comptez-vous opérer'

Mayer: la maîtrise des coûts est un de nos axes de travail, mais il est surtout question d'une meilleure efficacité. Notre structure actuelle, qui jusqu'ici était dispersée, permettait à de petits groupes de travail de prendre leurs propres décisions en terme d'environnement et de conception. Nous ne pensons pas que ce type de structure puisse fonctionner plus longtemps… Si nous devions assurer notre croissance, nous devions concevoir une plateforme de conception plus stable et plus puissante.

CNET: à propos de croissance, parlons du rachat de CommASIC. Quelle incidence cette acquisition aura-t-elle sur la conception de vos futures technologies sans fil'

Mayer: il était important pour nous d'acquérir la capacité d'inclure dans notre production des fonctions de réseau sans fil à faible consommation électrique, parce que les téléphones mobiles aux fonctionnalités sans cesse plus nombreuses se généralisent. Je veux parler de la 4G (téléphonie de 4ème génération; NdT), dès qu'elle aura décollé. (Avec elle) Vous pourrez passer d'un réseau à l'autre, d'un fournisseur à l'autre, vous aurez le WiFi, la VoIP (Voice over Internet Protocol; NdT), le Bluetooth… La liste est longue. Si nous voulons être prêts, nous devons acquérir cette capacité WiFi à faible consommation électrique.

CNET: Il semble que votre compagnie est dans une sorte de période de transition…

Mayer: je parlerais plutôt d'une évolution de nos métiers actuels.

CNET: certains analystes comparent Freescale à Texas Instruments, parce que vous êtes encore très impliqués dans le domaine analogique. Qu'est-ce qui vous plaît tant dans cette technologie'

Mayer: je pense que l'analogique est très important. Comme vous le savez, l'analogique renferme tout ce qui n'est pas purement digital, et beaucoup de choses en ce monde ne sont pas digitales.

CNET: existe-t-il des des activités dans lesquelles vous êtes absents, et dans lesquelles vous aimeriez investir'

Mayer:  nous venons d'ouvrir un centre de design et de maîtrise de la qualité à Nagoya, au cœur du bassin automobile japonais. L'électronique grand public est une autre voie de croissance pour nous. Nous avons commencé à transférer dans des appareils destinés au public des technologies développées pour l'automobile. La motorisation des sièges électriques de voiture est la même que celle qui gère la fonction autofocus sur les appareils photo Canon Digital Rebel. Les petits micro-contrôleurs qui déploient les airbags se retrouvent maintenant dans des grille-pains, des réfrigérateurs, avec des fonctions proches. Et puis, bien sûr, travailler sur la technologie sans fil hors du giron de Motorola est une opportunité de croissance pour nous; c'est d'ailleurs là-dessus que nous nous concentrons.

CNET: et l'informatique grand public'

Mayer: les ordinateurs pour le grand public ne représentent qu'une part marginale de notre activité, et elle est en constante régression. Notre seul client dans ce domaine, c'est Apple (pour ses portables), et ils vont passer chez Intel l'année prochaine. Nous n'étions pas ravis de perdre un client, mais franchement, avec toutes les autres avenues qui s'ouvrent à nous, ç'aurait été un gaspillage de ressources que de nous accrocher à un taux de pénétration de 0,5% sur le marché des ordinateurs, ce qui est à peu de choses près notre performance face à Intel.

Bon, très bien, Intel domine le secteur du PC. Il existe tellement d'opportunités en dehors du PC qu'il nous semble plus judicieux de nous recentrer sur des activités où nous sommes leaders.

L'innovation déserte le monde du PC, et se déplace vers celui des appareils électroniques grand public. Vers les consoles de jeu. L'automobile. Les téléphones. L'iPod, voilà où se trouve l'innovation. Donc l'informatique grand public n'est pas le marché dans lequel nous voulons nous investir.

CNET: vous étiez présent lors des discussions entre IBM et Apple, avant que ce dernier adopte le (processeur; NdT) G5'

Mayer: dans mon précédent poste, je m'occupais de la division Semi-Conducteurs d'IBM. Je connais donc l'histoire d'Apple sous toutes les coutures, car c'est moi qui ai vendu le G5 à Steve (Jobs, PDG d'Apple; NdT) la première fois qu'il a été tenté de passer chez Intel.

CNET: il y a cinq ans'

Mayer: oui, c'est à peu près ça. Donc, je lui ai vendu le G5. D'abord, j'ai convaincu IBM de le produire, puis j'ai vendu à Apple l'idée que le G5 était un bon produit, et qu'il serait le parfait pendant au PowerPC pour la conquête du marché des ordinateurs de bureau. Cela a bien marché. Et puis IBM a décidé de ne pas faire migrer le G5 vers les portables, et de concentrer son activité de fonderie vers les consoles de jeu.

CNET: parce qu'il n'y a plus d'innovation à espérer dans le domaine du PC'

Mayer: cela ne veut pas dire que le monde du PC soit mort. C'est un marché énorme. Nous allons probablement revigorer le PowerPC. Je ne sais pas s'il continuera de s'appeler ainsi. Je pense que tant IBM que nous même devons diffuser un message fort, du genre
'Hey, de nombreuses applications tournent sur cette architecture, elle est bien vivante, elle est là pour durer, alors pas de confusion, car il y a bien plus de puces PowerPC dans le monde que celles commercialisées directement par IBM.'

Il faut dire que les gens ont cette image du PC, et ils associent processeur et PC, mais ils ne réalisent pas qu'ils existe des dizaines, pour ne pas dire des centaines d'autres usages pour le micro-processeur au quotidien, et que les appareils qui en sont équipés sont de plus en plus puissants.

Au risque de vous surprendre, je dois vous dire que le PowerPC se retrouve au cœur des unités de gestion électronique des moteurs et des boîtes de vitesses (automatiques; NdT) de certaines voitures. Et l'année prochaine, environ 50% des voitures produites dans le monde seront équipées en PowerPC.

CNET: c'est une sacré puissance de calcul, pour injecter un peu d'essence dans les cylindres d'une voiture. A-t-on vraiment besoin d'un PowerPC pour cela'

Mayer: oui.

CNET: vous pouvez nous donner un exemple'

Mayer: sur la dernière génération de BMW série 7, une unité de calcul sous PowerPC se trouve installée sur les moteurs six-cylindres en ligne. Pour l'heure, c'est un PowerPC en 16-bit.

CNET: et l'an prochain, il passera à 32-bit'

Mayer: oui, 32-bit.

CNET: donc, si, là, maintenant, je prenais une BMW, et que je la désossais, je trouverais combien de puces Freescale'

Mayer: 52 processeurs Freescale, aussi bien sur la série 7 que sur la série 5.

CNET: et ils contrôlent…'

Mayer: le déploiement des airbags, le mouvement des sièges électriques, le moteur, la télématique (ODB: OnBoard Diagnostic, système de diagnostic et de repérage des pannes; NdT), le système audio, la transmission…

CNET: donc, au lieu de vous asseoir devant votre PC, vous le conduisez'

Mayer: c'est exact.

CNET: quand on parle d'étendre ses ailes et de quitter le giron de Motorola! En avez-vous retiré un bénéfice, ou est-ce que cela a été difficile' Freescale n'est pas une marque connue'

Mayer: il est évident que Motorola est une marque à forte notoriété, et nous sommes très fiers de l'héritage que Motorola nous a laissé… Cela dit, nous ne sommes pas une marque directement accessible au grand public: nous vendons nos produits à des entreprises qui les englobent dans les leurs. Ce qui me fait dire que nous jouissons à notre manière d'une certaine notoriété."





Source : CNET News