La difficulté des Etats-Unis, d'un côté, et de l'Union Européenne, de l'autre, à s'entendre sur l'avenir d'Internet peut-elle conduire à son implosion'

Les récents pourparlers entre les deux grandes puissances économiques ont été mouvementés, et peu productifs. Le futur d'Internet tel que nous le connaissons semble suspendu à une --hypothétique-- démonstration d'ouverture de la part du gouvernement américain, mais il se pourrait que le problème soit un peu plus  complexe.

Il faut se souvenir qu'à la base, si Internet, ou le réseau embryonnaire qui lui a donné naissance, est une invention européenne (elle trouve son origine dans un intranet sophistiqué lancé au CERN, le Centre d'Etude et de Recherche Nucléaire, dans les années 1960), il a trouvé son mode de fonctionnement actuel, que nous avons tous appris à apprécier, sous la houlette des Etats-Unis, dont le Département de la Défense a grandement contribué à en assurer le développement et, dans une moindre mesure, la sécurisation.

Pour les Américains, Internet est une invention américaine, donc l'organisme qui en gère le fonctionnement, l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), basé en Californie, doit demeurer seul aux commandes, sous la tutelle, comme c'est actuellement le cas, du Département américain du Commerce. Ce dernier se prévaut de n'avoir jamais interféré avec les recommendations de l'ICANN, mais une promesse faite du temps de l'administration Clinton de conserver à l'ICANN sa --relative-- indépendance semble sur le point de devenir caduque.

Les Etats-Unis avancent qu'Internet, dans sa forme actuelle, regroupe plus de 250.000 réseaux inter-connectés, qui emploient tous un protocole technique standard, le fameux TCP/IP (Transmisssion Control Protocol/Internet Protocol); modifier en profondeur cette structure mettrait à mal tout l'édifice, et poserait de sérieux problèmes de sécurité pour les internautes.

En cause, évidemment, la définition des DNS, les Domain Name Systems, ces catégories qui permettent, lorsque vous transmettez une requête via votre navigateur Internet, de trouver rapidement le ou les sites le(s) mieux adapté(s). En fait, ce sont plus particulièrement les "racines" de ces DNS, qui sont concernés par cette polémique*.

 Les Etats-Unis arguent à ce sujet que le contrôle des DNS n'est pas une fin en soi, même s'ils ne sont pas disposés à y renoncer; l'administration Bush actuelle estime en effet que les pays qui aspirent à contrôler une partie de ces noms de domaines sont souvent des régimes autoritaires, voire totalitaires, où la liberté d'expression n'est qu'une vue de l'esprit.

Transférer les suffixes (les fameux "point-quelque chose" à la fin des adresses Internet) hors du contrôle de l'ICANN nuirait davantage à Internet qu'il ne servirait les peuples des pays en question, estiment certains hauts-fonctionnaires américains ; ils ajoutent que le modèle actuel a fait la preuve de son efficacité, et que le remettre en question ne pourrait qu'aboutir à la disparition d'Internet.

L'Union Européenne voudrait de son côté obtenir un meilleur contrôle sur les DNS qui la concerne au premier chef, de manière à étoffer sa nomenclature sans avoir à demander la permission aux Etats-Unis. Ce à quoi ces derniers répondent qu'en formulant une telle demande, l'Europe fait le jeu, sans le savoir (') de certains pays où le mot "démocratie" ne signifie pas grand chose ; l'ancien Premier Ministre suédois Carl Bildt a ainsi émis de sérieux doutes quant au caractère désintéressé du soutien de l'Arabie Saoudite à la fronde européenne. Les agendas des uns et des autres semblent présenter en effet de sérieuses différences...

La crainte de tous est que, découragés par l'intransigeance des Etats-Unis, des pays comme la Chine, l'Iran, certains pays arabes, et des puissances en devenir (Brésil, Argentine, Afrique du Sud) soient tentés de créer une sorte de réseau-bis, dont le fonctionnement échapperait quasiment à tout contrôle.

L'Union Européenne rejette évidemment les accusations selon lesquelles son opposition quasi-viscérale à l'hégémonie américaine la rendrait vulnérable à une manipulation de la part des pays sus-mentionnés. La représentante de la Commission Européenne en charge de ces questions se dit "consciente du problème, et du fait que certains (pays) pourraient tenter de l'instrumentaliser".

La conférence qui se tiendra à Tunis, du 16 au 18 novembre prochains, sera en quelque sorte celle de la dernière chance, mais on voit mal les différents protagonistes ne pas se mettre d'accord, étant donné l'importance qu'a pris Internet dans l'économie mondiale au cours des dernières années.

Tuer la poule aux oeufs d'or ne servirait les intérêts de personne...


* Les "racines" des noms de domaines (DNS) se répartissent en deux catégories: les gTLD (generic Top Level Domain), qui sont pour l'instant au nombre de 14, et qui symbolisent des "secteurs d'activité" (.com ou .org, par exemple), et les 248 ccTLD (country code Top Level Domain) qui représentent des domaines attachés à un pays donné (.fr en est une illustration). Ils sont stockés sur 13 machines disséminées à travers le monde, et leur contrôle, on peut s'en douter, est l'objet de toutes les attentions...


Source : Slashdot