Dans un article polémique, mais non dépourvu de pertinence, notre confrère Andrew Brown, du journal anglais The Guardian, se demande comment OpenOffice.org peut connaître un tel succès alors qu'il recèle autant de bogues…

Reprenant à son compte, pour mieux la démonter, la célèbre phrase du programmeur émérite Eric Raymond, qui prétend que "plus il y a de paires d'yeux pour scruter un code (source), moins ce dernier sera bogué", Andrew Brown montre que dans le cas de la suite bureautique open-source OpenOffice, cette maxime n'est pas vraiment justifiée. Et que son application forcenée par la communauté open-source ne porte pas complètement ses fruits…

Rappelons qu'OpenOffice.org est une suite bureautique libre —dans le sens où son code-source peut être modifié par toute personne qui a les compétences pour le faire— et gratuite, distribuée sous l'égide de Sun Microsystems, qui lui "prête" le code-source de son logiciel StarOffice, après l'avoir lui-même racheté à l'éditeur allemand StarDivision en 1999. De par ses fonctionnalités et son contenu, elle entre en concurrence frontale avec Microsoft Office, du moins pour les utilisateurs de Windows et MacOSX, car les afficionados de Linux n'ont pas l'embarras du choix, eux. Cela signifie-t-il pour autant qu'ils ont le choix de l'embarras'

Andrew Brown se défend de dénigrer OpenOffice par favoritisme pour un produit concurrent; il explique qu'il a adopté la suite open-source dès l'apparition de ses toutes premières moutures, et ne s'en est jamais départi depuis. Il avoue même que lorsqu'il doit écrire de longs textes, il la préfère à Word.

Tout n'est pas rose, cependant, et en dépit de la mobilisation de plusieurs milliers de programmeurs dévoués, un peu partout dans le monde, ce sont quelque 50.000 bogues qui ont déjà été identifiés (et, la plupart du temps, promptement fixés). Certains journalistes spécialisés ont également noté que la suite OpenSource, dans sa dernière version stable 2.0, est extrêmement lente à démarrer, qu'elle réagit parfois de façon inattendue, qu'elle consomme beaucoup (') plus de ressources que Microsoft Office, et que dans certains cas (ouverture d'une feuille de tableur, par exemple), accéder à un fichier donné peut prendre jusqu'à 100 fois (!) plus longtemps qu'avec l'application Microsoft équivalente. Bien entendu, ces observations sont à prendre avec prudence, car le temps de démarrage d'un logiciel dépend de nombreux paramètres, et sa lenteur est parfois due à d'autres raisons qu'un code défaillant.

Pour autant, lorsque 500 développeurs signent l'accord de licence qui leur permet d'intervenir dans l'écriture ou la correction du code-source d'un produit aussi complexe qu'OpenOffice, et qu'ils référencent 6.000 bogues non résolus, on se demande si les uns ne défont pas parfois ce que les autres ont fait. Et encore, le chiffre de 500 développeurs serait, paraît-il, largement surévalué. La réalité ferait état de 50 personnes, réparties aux quatre coins du monde, peut-être même moins. A comparer aux armadas de Microsoft ou, dans d'autres domaines, de Google…

Il n'empêche qu'OpenOffice est un produit attachant, qui évolue vite, mais il souffre sans doute du fait que quelques acteurs majeurs du monde de l'informatique —les noms de Google, IBM ou Sun viennent à l'esprit— se servent peut-être un peu trop de l'open-source comme d'un rempart bon marché contre la déferlante Microsoft, au risque de scléroser un système qui repose essentiellement, comme son nom l'indique, sur l'ouverture… et la liberté.