Comme le fait justement remarquer le responsable technique d'Opera Software, la partie la plus visible du Web moderne est aussi, par certains côtés, la plus archaïque, en ce sens qu'elle est l'héritière d'un projet initié en 1996 par Microsoft. Je veux bien sûr parler des polices de caractères.


Mais que fait la police '
Vous connaissez tous et toutes ces noms : Arial, Times New Roman, Verdana... Occasionnellement, vous les prononcez même à haute voix, mais le plus souvent vous les employez sans vraiment vous demandez qui les a inventés ou, à défaut, a contribué à les populariser. Sur ce dernier point, la réponse est simple, puisqu'il s'agit de Microsoft (what else, ou plutôt who else, comme dirait George).

En 1996, en effet, l'éditeur de Redmond mettait gratuitement à disposition de la communauté d'Internet une dizaines de familles de polices de caractères, dont les plus connues, mentionnées plus haut. Le geste était noble, mais on ignorait alors que Microsoft, six ans plus tard, cesserait de développer ces polices, et interdirait à qui que ce soit de le faire à sa place. Voilà pourquoi nous sommes, encore aujourd'hui, "coincés" avec des polices, certes nombreuses, mais parfois vieillottes, et figées dans le temps pour les siècles des siècles. Amen.


Duo de choc
Entrent en scène deux personnages qui pourraient bien, sinon révolutionner, du moins rafraîchir la forme du texte que nous lisons chaque jour sur notre navigateur Internet, quel qu'il soit. Le premier se nomme (accrochez-vous) Hakon Wium Lie. Il est norvégien, et travaille chez Opera Software, où il occupe les fonctions de Chief Technology Officer, autrement dit de responsable technique, même si la traduction française de son titre semble du coup moins ronflante. Accessoirement, c'est aussi à Hakon Wium Lie que l'on doit le test Acid2, par lequel le Web Standard Project juge des efforts que font les éditeurs de logiciels à se conformer aux standards d'affichage de pages Web. Il a également largement contribué à populariser le fameux format Cascades Style Sheets, adopté depuis par presque tous les navigateurs Internet.

L'autre homme-clé de notre histoire est Ray Larabie, canadien de naissance (il a vu le jour il y a à peine 36 ans à Ottawa), et on lui doit quelques polices True Type et OpenType, que nous avons appris à apprécier, et sans lesquelles l'affichage de nos PC (et surtout de nos Mac) serait bien triste. Ray Larabie est aussi le créateur de polices moins connues, comme Degrassi ou Electroharmonix, au dessin très futuriste, et surtout de la famille des polices Goodfish, qui sont en quelque sorte les précurseurs de ce qu'on en est venu à appeler les "Web fonts", ou polices d'Internet. Car notre ami Ray a eu la riche idée de mettre gracieusement à disposition de la communauté mondiale ses créations, avec cette fois le droit de les modifier à loisir. La famille des Goodfish en est un excellent exemple, puisqu'elle compte quatre membres (normal, italique, gras et italique/gras), mais elle présente un handicap : pour s'afficher sur l'espace de travail de votre navigateur, ces polices d'Internet doivent d'abord être reconnues de lui.


La fronde s'organise
Or cette application si précieuse a plutôt tendance à piocher dans ce qui se trouve déjà sur votre ordinateur. Les options de mise en forme qui vous sont proposées incluent donc les polices installées sur votre PC ou votre Mac, voire votre ordinateur sous Linux (eh oui, même les systèmes d'exploitation open-source ont aussi recours à des polices "Made in Redmond"...), et excluent tout le reste.

Heureusement, il existe une parade, et elle porte le nom de CSS2. Cette suite logique du CSS si cher à Hakon Wium Lie reconnaît les polices disponibles sur le Web, et peut, au démarrage de votre navigateur, les charger. Notre ami scandinave insiste d'ailleurs sur les bienfaits de tels choix, tant ils vont stimuler la créativité de celles et ceux qui conçoivent ces éléments si anodins, et pourtant si essentiels, de notre paysage informatique. Avec un bonus additionnel : en les affichant sous la forme ClearType, l'utilisateur sera assuré de ne pas enfreindre les lois sur la propriété intellectuelle qui pourraient protéger telle ou telle police. ClearType, en effet, ne se contente pas d'enrober gentiment les caractères. Il vérifie en amont si la police employée est ou non accompagnée de restrictions, et si la réponse est positive, il refuse simplement de l'afficher. Reste à convaincre les développeurs de navigateurs Internet d'adopter ces polices délocalisées.

Finalement, comme le fait judicieusement remarquer Hakon Wium Lie, le seul qui ferait un peu la tête, si les polices d'Internet venaient à se généraliser, ce serait Microsoft.

Mais bon, on ne peut pas plaire à tout le monde, c'est bien connu...