Mesurer les performances des super-calculateurs donne souvent le vertige, et s'avère plus compliqué qu'on ne le pense. Un programme dédié à la recherche va peut-être permettre de donner une meilleure idée des capacités de calcul de l'un de ces monstres, le Blue Gene/L d'IBM.


Des virgules flottantes comme s'il en pleuvait...
International Business Machines (IBM) a construit Blue Gene/L (L pour Lawrence Livermore, le laboratoire de recherche scientifique situé en Californie) dans le but, non de battre un record de puissance de calcul, mais de permettre aux chercheurs de simuler le comportement de la matière à l'échelle de l'atome. Composé de 131.072 processeurs PowerPC à peine modifiés, il est théoriquement capable de procéder à 360.000 milliards d'opérations à virgule flottante par seconde, soit 360 téraflops. Pourtant, lorsqu'il travaille en conditions normales, ses capacités ne sont utilisées qu'à 5%, parfois même moins. Pour mieux cerner les limites de cette machine à calculer de l'extrême, il fallait un logiciel aussi puissant que la bête elle-même. Ce sera chose faite lorsque le laboratoire Lawrence Livermore et IBM auront fait démarrer le programme Qbox.


Cerner les réactions de l'atome
Qbox, avec un "Q" majuscule, comme "Quantum", simulera les interactions de 1.000 atomes de molybdène sous des pressions élevées, grâce à des équations complexes qui prendront en compte le comportement des électrons desdits atomes. Mais pour que Qbox--et Blue Gene/L--donnent leur pleine mesure, il a au préalable fallu régler au mieux le fonctionnement du super-calculateur, et déterminer quelles routines de calcul marchaient le mieux, ce qui fait dire un membre de l'équipe de recherche d'IBM que les performances globales ont été multipliées par quatre grâce à quelques menus aménagements logiciels et matériels. Avec plus de 130.000 processeurs fonctionnant en parallèle, on imagine le casse-tête que cela a dû représenter.

Qbox a été élaboré sous l'égide d'une agence fédérale dépendant du Département américain de l'Energie, la NNSA, ou National Nuclear Security Administration, afin de simuler le vieillissement des armes nucléaires dont les Etats-Unis disposent en grand nombre, avec le secret espoir de ne jamais avoir à s'en servir. Les têtes nucléaires les plus courantes (bombe H) sont en effet composées d'un coeur de plutonium (étage primaire), dont les caractéristiques mécaniques et chimiques sont proches de celles du molybdène, lequel entre aussi dans la fabrication des ogives, et d'isotopes d'hydrogène pas toujours très stables, comme le tritium et/ou le deutérium. Il convient donc d'extrapoler le comportement de ces composés instables dans le temps, afin de déterminer si les armes en questions conserveront ou non leur capacité destructrice, voire présenteront un danger de contamination passive.

Les retombées des premiers calculs effectués par le tandem Qbox-Blue Gene/L iront bien au delà de cela, puisqu'à terme d'autres laboratoires de recherches pourront simuler à leur tour des interactions à l'échelle atomique au moyen d'équations quantiques, alors qu'ils étaient jusqu'ici obligés de se contenter de logiciels qui ne ne "voyaient" la matière qu'à l'échelle moléculaire.

Qbox, de son côté, espère battre le record mondial de calcul pour un logiciel, avec 207,3 téraflops, soit 207.300 milliards d'opérations de calcul par seconde. Ce qui est déjà pas mal...