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L'inconnu du dimanche ne raccrochera jamais

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cecile.bertau
Et si c'était l'année Drucker? Oui, bon, d'accord, depuis que la télé
existe, c'est tous les ans, l'année Drucker. N'empêche, 2007 s'annonce
comme un millésime exceptionnel. Cette saison, il nous a tout fait, le
sexagénaire chéri du service public: deux mois à présenter ses émissions
avec une jambe plâtrée - une mauvaise chute lors d'une répétition - et un
record d'audience avec la famille Chirac à Vivement dimanche, 6 millions de
fidèles. La suite, c'est une autobiographie en deux tomes qu'il publiera en
décembre. Un livre événement. Titre provisoire: Nul ne guérit de son
enfance.

Il y a aussi les soirées de gala, sur France 2, les 13 et 20 juillet, en
direct des villes-étapes du Tour de France. Mais, là, Drucker est vacciné:
les émissions spéciales, c'est son truc, son jardin, sa routine. Une fête
nationale? Un réveillon de la Saint-Sylvestre? Un passage à l'an 2000?
Jamais sans Drucker. «Avec lui, on a la garantie de toucher tous les
publics, de plaire aux vieux sans déplaire aux jeunes, de séduire les
campagnes sans mécontenter Paris. Michel, c'est du robuste», souligne
l'ancien patron de France 2 Jean-Pierre Cottet.

Face aux jardins de l'Elysée, dans son bureau en sous-sol du studio Gabriel
- une cellule aux murs aveugles et au mobilier sans âge: les blancs-becs du
micro-cravate n'y logeraient même pas leur secrétaire - Drucker imperator
détaille sa martingale. «A 25 ans, j'étais déjà démodé. On m'a toujours
pris pour un provincial. Certains y auraient vu un handicap. J'ai compris
que c'était ma chance.» Il pivote sur son siège comme le font les
producteurs de télé dans les films américains. Enfin, il essaie: son vélo,
posé contre le mur, coince le fauteuil.
Etre dans le coup, c'est d'abord le risque de ne plus y être un jour.
Drucker est tenaillé par l'obsession de durer. Il s'agrippe au temps qui
passe comme à une rampe d'escalier. Normalement, c'est une marotte de
vieux. Lui, ça l'a pris très jeune. «Je lisais des dépêches de sport au
journal télévisé et je côtoyais les grognards, Zitrone, Darget... Chaque
soir, je me demandais comment j'allais faire pour être encore à la télé
quand j'aurais plus de 50 ans.»

Tout contrôler: la maîtrise de soi est son sport favori
Il y en a que le changement régénère. Lui carbure à la longévité. Il ne
raconte pas sa vie, il égrène les dates, jongle avec les décennies. Cela
fait quarante-cinq ans qu'il habite dans le VIIe arrondissement, quarante-
deux ans qu'il collabore avec la productrice Françoise Coquet, trente-
quatre ans qu'il est marié avec Dany Saval. Avant de l'interviewer, mieux
vaut prévoir un boulier. «Ne vous en faites pas pour moi, Drucker, il y a
une vie après la politique», lui a soufflé Jacques Chirac, au printemps
dernier, à l'issue d'un enregistrement. Il soupire. «Moi, je sais qu'il n'y
a pas de vie après la télé. Tous les copains qui ont arrêté sont morts dans
l'année qui a suivi.»

Comme dirait son ami Johnny: on a tous en nous quelque chose de Michel
Drucker. Mais quoi au juste? Le souvenir d'un dimanche après-midi d'hiver
où ses questions se noyaient dans les yeux lagon de Romy Schneider? Ce
samedi soir anisé où il rabroua Serge Gainsbourg? Une défaite des Bleus de
Platini à Guadalajara (Mondial 1986) ou une victoire de la musique pour un
groupe de rap qu'il n'écoutera jamais? Drucker ne vieillit pas, nous si, et
c'est en regardant ses émissions qu'on s'en aperçoit.

Pour avoir définitivement la paix avec les autres - avec lui-même, c'est
une autre histoire - l'ancien cancre de la communale devenu vache sacrée de
l'audiovisuel a appris à se contempler en son portrait officiel. «Un
article sur moi? Bah! si vous voulez, je vous aiderai à trouver un angle»,
a-t-il aimablement proposé au téléphone. Drucker, sa chienne, son
hélicoptère, son brushing. Ça lui va; il signe tout de suite. Drucker,
l'animateur, sanglé dans la révérence, qui ne contrarie jamais ses
interlocuteurs. Du haut de sa statue, il laisse dire. Ça lui évite de
remuer les blessures. D'expliquer aux ignorants qu'il ne s'est jamais remis
de ne pas être médecin comme son père, Abraham. «En Basse-Normandie, il
entrait dans les fermes et il voyait ma tête à la télé. Il n'en revenait
pas de ce que les gens m'aimaient. "Envoie ta photo, ça leur fait du bien",
me disait-il.» La légendaire sollicitude de Michel Drucker vient de là. Il
ne fait pas de la télé, il panse la France, cicatrise les solitudes, soigne
les mélancolies, administre la médecine douce de ses émissions à des
patients conquis d'avance.

Tout contrôler. Son image, ses nerfs, son emploi du temps. La maîtrise de
soi est le sport favori de Michel Drucker. Après le vélo. Et même ça, ce
n'est pas un hasard. Les types de la télé ne font pas de vélo. Ils font du
tennis, du cheval, du ski nautique. Pas ce sport réservé aux forçats qui
n'en finissent pas d'expier leur enfance ou quelque chose comme ça. Lui, ce
qu'il aime, à 64 ans, les fesses posées sur la selle, «c'est la
souffrance». Sur son vélo, Drucker l'hypocondriaque sait pourquoi il a mal.

Thierry Ardisson a partagé quelques prime times avec le Maillot jaune de la
télé d'après le gigot. «Il me fait penser à ces serveurs qui traversent la
salle de restaurant, une pile d'assiettes à la main, explique-t-il. Jusqu'à
la fin, il aura la trouille d'en renverser une.» Il n'y a pas de secret:
pour chevaucher les siècles, derrière l'écran, il faut être très, très
méchant, comme Ardisson, ou alors très, très gentil, comme Drucker. Mais
l'est-il seulement, docteur Gérard Miller? «Disons qu'il est le promoteur
d'une qualité de cœur précieuse: la philanthropie narcissique, analyse le
psy cathodique qui a débuté sur le canapé rouge de Vivement dimanche. Plus
il aime et fait aimer les autres, plus il s'aime lui-même.»

On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Michel Drucker n'a pas
d'attaché de presse et travaille avec six salariés quand les bonimenteurs
de reality-shows en emploient quatre-vingts. Le programme de ses émissions
du dimanche est bouclé, dans les moindres détails, jusqu'à la fin de
l'année. Comme d'habitude, il veillera à ce que les deux tiers du plateau
soient réservés au public de province. Comme d'habitude, il aura lu tous
les livres, vu tous les films, écouté tous les discours de ses invités. «On
le raille pour sa complaisance, note Daniel Cohn-Bendit, l'icône soixante-
huitarde de Drucker. N'empêche, il est le seul animateur, sans oreillette
ni prompteur, qui ne cherche pas à se faire mousser sur le dos de ses
invités.» Un animateur qui, sous son conservatisme de bonne coupe, a
toujours eu le cœur à gauche.

Au fil du temps, le journaliste Jean-François Kervéan est devenu son
confident. Aujourd'hui, il l'aide à rédiger son autobiographie et n'est pas
loin de penser que notre homme est tout le contraire de ce qu'il donne à
voir. Un monstre de complexité camouflé derrière un être sans histoire. Une
vigie de la société française déguisé en idole de la ménagère. «Quand je
cherche un numéro de téléphone important, je n'appelle pas les
renseignements, j'appelle Drucker», dit Charles Aznavour. Sur la place de
Paris, son carnet d'adresses n'a pas d'équivalent. Pinault voisine avec
Popeck, Virenque avec Villepin. «C'est l'un des hommes les mieux informés
du pays, affirme Kervéan. Un souci pour Belmondo? Une grippe de Sarko? Il
est dans les premiers à recevoir un Texto.» Drucker ne cultive pas ses
réseaux. Mais il aime la sensation réconfortante d'être dans les petits
papiers.

Il aime aussi que sa vie ressemble à ses émissions, avec un «conducteur»,
pour éviter les impromptus. «Si vous lui demandez ce qu'il fera le 23 août
prochain dans sa retraite des Alpilles, il vous le dira et à la minute
près, raconte Jean-Pierre Cottet. La sortie à vélo de deux heures ou de
deux heures dix, l'apéro en famille ou chez les voisins, tout est
programmé.» Tout. Enfin, presque.

Il y a un peu plus de deux mois, un ouvrage au parfum d'arsenic est paru
chez Albin Michel sous la signature de Calixthe Beyala. La romancière
africaine, Grand Prix de l'Académie française en 1996, y détaille les
aventures d'une femme noire d'une quarantaine d'années avec une vedette de
l'écran portant «l'image sacerdotale d'animateur préféré du petit écran»,
dont les fans sont des millions «à l'attendre impatiemment chaque
dimanche». Tout le monde suit? Le héros, lâche et complexé, possède un
chien qu'il adore, porte beau la soixantaine et somatise comme une rosière.
Le livre s'intitule L'Homme qui m'offrait le ciel, et l'on comprend qu'il
ne s'agit pas seulement d'une virée en hélicoptère. Dans le milieu de
l'édition, on appelle ça un «roman à clefs». Calixthe Beyala, elle, y va au
pied-de-biche.

Contre toute attente, le scandale annoncé a fait pschitt. Deux, trois
vannes sur le plateau d'Ardisson. Quelques tirades vitriolées de l'auteur
dans des émissions confidentielles. Le doux clapotis des potins du show-biz
quand les initiés prédisaient les grandes marées de l'infamie.

Au cours de ces mois interminables où il lui est arrivé de tout laisser en
plan et de s'enfuir dans la vallée de Chevreuse pour s'abrutir d'épuisement
sur son vélo, jamais Michel Drucker ne s'est exprimé sur ce jet de pavé en
sa vitrine d'honnête homme et d'animateur à poil lisse. Quand on aborde le
sujet devant lui, il y a un long blanc, un très long blanc. Son masque
vernissé se fissure sous l'effet de l'incrédulité - «Comment fait-il pour
poser une question pareille?» pense-t-il très fort - et son regard se perd
au souvenir d'une épreuve personnelle qu'il ne souhaiterait pas à son pire
ennemi, s'il en avait. Pour le reste, il dit qu'il ne dira rien, ou
presque. «Je n'exclus pas la possibilité de m'exprimer, plus tard, par la
voix de mon avocat», lâche-t-il après avoir raboté la formule dans tous les
sens.

C'est fou, ce qu'il rature, Drucker. Quand il écrit son autobiographie, il
y a le premier jet, puis le deuxième, puis le dixième. Il passe, il
repasse, il aplanit, il édulcore. Ce jour-là, une demi-heure après avoir
évacué le sujet qui fâche, il en parle encore, comme un boxeur sonné qui
n'en finirait pas de revivre son KO. Un stagiaire pointe une tête dans son
bureau et le tire de son vertige. Il cherche les coordonnées d'un ancien
patron de la DST que Rachida Dati veut inviter, après l'été, dans Vivement
dimanche. Drucker a le numéro. Drucker a tous les numéros.

Tout à l'heure, son copain Nicolas, le président, va lui annoncer qu'il
accepte, lui aussi, de participer à l'émission consacrée à la ministre de
la Justice. Sur le canapé élimé du bureau sans fenêtre, Olga, la fidèle
Olga, fait mine de s'ébrouer puis se rendort en un couinement radieux. Le
vieil animateur au sourire de petit garçon ramasse une lettre qui traîne
sur son bureau. Un téléspectateur aimerait offrir à sa mère, pour son
anniversaire, une photo dédicacée de l'idole. Comme souvent, Drucker fera
mieux: le jour dit, il appellera, lui-même, l'octogénaire.

Combien de Drucker y a-t-il dans le costume de l'homme qui s'était juré de
faire carrière à la télé comme on le faisait, jadis, aux PTT? Jean-François
Kervéan: «Un jour, quand il aura décidé de raccrocher, Michel écrira,
enfin, le livre off, le livre de sa grande vérité.» Et c'est pourquoi
Michel Drucker, cet inconnu célèbre, ne raccrochera jamais.

Paru dans LEXPRESS.fr du 12/07/2007

Michel Drucker
L'inconnu du dimanche

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Augustin
Et alors ...?


"cecile.bertau" a écrit dans le message de news:

Et si c'était l'année Drucker? Oui, bon, d'accord, depuis que la télé
existe, c'est tous les ans, l'année Drucker. N'empêche, 2007 s'annonce
comme un millésime exceptionnel. Cette saison, il nous a tout fait, le
sexagénaire chéri du service public: deux mois à présenter ses émissions
avec une jambe plâtrée - une mauvaise chute lors d'une répétition - et un
record d'audience avec la famille Chirac à Vivement dimanche, 6 millions
de
fidèles. La suite, c'est une autobiographie en deux tomes qu'il publiera
en
décembre. Un livre événement. Titre provisoire: Nul ne guérit de son
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"cecile.bertau" a écrit dans le message de news:


Et si c'était l'année Drucker? Oui, bon, d'accord, depuis que la télé
existe, c'est tous les ans, l'année Drucker. N'empêche, 2007 s'annonce
comme un millésime exceptionnel. Cette saison, il nous a tout fait, le
sexagénaire chéri du service public: deux mois à présenter ses émissions
avec une jambe plâtrée - une mauvaise chute lors d'une répétition - et un
record d'audience avec la famille Chirac à Vivement dimanche, 6 millions
de
fidèles.



Et en plus, cet hiver, on aura droit à une spéciale Dorothée.

Sa présence lors de l'émission de Chantal Goya avait crée un mini évènement
(hé oui, hé oui...), et je suis sûr que celle-là fera un carton d'audience.


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