Novell, pour sa SuSE Linux, pourrait bien cesser de s'appuyer sur le système de fichiers ReiserFS, qu'il employait pourtant depuis près de 7 ans. Plusieurs raisons techniques sont évoquées pour expliquer cette révolution.


Précurseur, et pourtant largué '
Loué pour ses qualités de stabilité et d'exploitation judicieuse de l'espace disque, tout comme pour sa bonne gestion des nombreux fichiers de petite taille, le système ReiserFS (FS pour File System, système de fichiers) fut le premier à être intégré en natif dans le noyau Linux (à l'époque en version 2.4.1), et a servi de point d'appui (d'aucuns diraient, "point de montage"...) à plusieurs distributions Linux, dont SuSE Linux. A la base, le système de fichier conçu par Hans Reiser et commercialisé par sa firme, Namesys, se voulait pluraliste, puisqu'il devait non seulement servir à indexer les fichiers contenus dans un ordinateur, mais également à motoriser une base de données ou à constituer un trait d'union entre système d'exploitation et applications. Dans sa dernière version stable (ReiserFS 3.x), il est encore proposé sur les distributions SuSE Linux, mais il semblerait que l'éditeur américain Novell, propriétaire de SuSE, soit décidé à ne pas adopter la version 4, entièrement réécrite, et actuellement testée en conjonction avec le noyau 2.6.x de Linux. Les raisons invoquées pour ce changement sont essentiellement techniques, mais reflètent également une incapacité de la part de SuSE à faire évoluer son propre système.

Comme l'explique sur son blog Jeff Mahoney, l'un des principaux architectes de SuSE Linux, ReiserFS connaît des problèmes de "scalabilité", autrement dit de capacité à augmenter en taille et en charge de travail sans nécessiter de refonte importante. C'est d'ailleurs pour répondre à cette critique, entre autres choses, que Reiser et son équipe ont développé la version 4 de ReiserFS. Ce dernier fait de nombreux emprunts à la technologie BKL (BitKeeper License) pour situer tous les petits fichiers système, mais le fait de morceler un gros système en plusieurs petits ne le rend pas plus efficace, et c'est pour cette raison que SuSE pourrait bien changer de crêmerie à l'avenir.

Mahoney reconnaît sa responsabilité dans l'orientation initiale, au sens où il a personellement supervisé l'intégration des ACL (Access Control Lists) dans le système, mais selon lui, ReiserFS est en bout de course : dans sa version 3.x, il n'est plus développé, mais seulement maintenu par son concepteur, et la quatrième mouture n'est pas une évolution incrémentielle de la précédente, mais marque au contraire un changement radical, et nécessite un formatage du support avant installation. Qui dit formatage dit bien sûr perte de données (à moins, bien entendu, de les avoir sauvegardées), et ce qui est acceptable pour un particulier l'est beaucoup moins pour un serveur d'entreprise...


Quelles alternatives '
Qui plus est, l'interopérabilité avec d'autres systèmes, tant de fichiers que de serveurs, ne fera que compliquer encore une nomenclature déjà bien encombrée. Pour toutes ces raisons, plus quelques incompatibilités d'humeur et de point de vue entre l'équipe (restreinte) de Reiser et les développeurs de SuSE, dont Mahoney lui-même, SuSE pourrait s'orienter vers d'autres systèmes de fichier pour ses futures distributions. On pense évidemment à l'omniprésent ext3, plus rapide dans une architecture hiérarchisée, mais moins souple et plus difficile à personnaliser. Il n'empêche que la principale critique adressée à ReiserFS reste sa lenteur au montage, autrement dit à la création de nouveaux répertoires et partitions. ReiserFS 4 ne semble pas plus stable que sa version 3.x aux yeux de Mahoney, et c'est là aussi une des pierres d'achoppement entre les deux entités. Notre homme semble clairement s'orienter vers ext3, qui a largement fait ses preuves, et dont les perspectives de développement sont mieux établies. Et de passer rapidement sur les atouts indiscutables de ReiserFS par rapport à son concurrent : redimensionnement à chaud des partitions sans perte de données, gain de capacité de stockage lors de la conversion depuis ext2/3, notamment. En fait, il semble que le principal reproche que l'on puisse faire à ReiserFS tienne à son incompatibilité avec l'utilitaire de sauvegarde Dump, très prisé dans les entreprises qui fonctionnent sous Linux. Un marché vital pour Novell...

Bien sûr, certains arguments objectifs plaident  en faveur d'ext2/3, dont le fait que sa future version 4 est déjà dans les starting-blocks, et digère mieux les applications et systèmes 64-bit que ses prédécesseurs. Mahoney rêve cependant d'intégrer le futur d'OCFS (Oracle Cluster File System), OCFS 2, du moins pour l'archivage des fichiers root. Cela présenterait l'intérêt de rendre les stockages sur site et distants instantanément compatibles, mais au prix d'un alourdissement conséquent. Le mieux est parfois l'ennemi du bien.

Et notre ami Jeff n'a pas fini de gamberger...