Un Américain a conçu une horloge capable d'afficher l'heure juste pendant 10.000 ans. En même temps, il "réinvente" l'ordinateur. A sa manière.

Avant toute chose, non, Génération NT n'ouvre pas un Département Horlogerie. Qu'on se le dise. Ce point éclairci, parlons un peu de Mr Hillis et de son invention.

W. Daniel Hillis --Danny pour les intimes, et dans les lignes qui suivent-- vit aux Etats-Unis, le pays de l'innovation technologique, et de la démesure. Qui plus est, il habite en Californie, l'état où l'on recense le plus grand nombre d'entreprises liées à l'informatique au kilomètre carré.

Danny voulait-il laisser son empreinte dans les livres d'histoire' C'est possible. Est-il passionné par la technique, et plutôt habile de ses mains' C'est fort probable. Est-il dévoré par l'ambition ou visionnaire' Seul l'avenir nous le dira. Et il va falloir attendre. Longtemps.

Environ dix mille ans.


Car Danny (nous sommes entre amis) s'est un beau jour de 1980 demandé pourquoi ses contemporains n'arrivaient pas à se propulser dans un futur qui lui semblait si proche. En interrogeant ses amis, il s'est aperçu que l'an 2000, cette date semi-fatidique, qui a fait trembler les informaticiens de la planète entière et enrichi nombre de gourous, ce cap presque mythique, ne représentait rien de plus qu'un chiffre pour le commun des mortels. C'était pourtant seulement vingt ans dans l'avenir, mais 2000 semblait appartenir à une autre dimension.

Danny trouvait navrant que les gens qui l'entouraient soit incapables de se projeter vingt ans dans le futur, et d'y associer des projets personnels. Il a alors décidé de se lancer dans un projet à long terme, qui le tiendrait en haleine --et nous avec lui-- pendant des décennies, pour ne pas dire des siècles.

Ce faisant, Danny est revenu aux fondements de l'informatique: l'époque où cette dernière servait, non à afficher des jeux en trois dimensions sur des écrans sans cesse plus performants, ou à surfer sur Internet, ni même à écrire des codes destinés à semer la pagaille dans les ordinateur de parfaits inconnus, mais à effectuer en quelques minutes des calculs qui auraient pris plusieurs années à un homme armé d'une feuille de papier et d'un crayon.

A cette époque, un ordinateur était un monstre, tenant à peine dans une pièce de la taille d'une salle de bal ; une machine bruyante, car composée en grande partie de pièces mobiles, dans lequel on entrait des données au moyen de cartes perforées.

C'est ce dernier principe que Danny Hillis a exhumé : il a réinventé l'ordinateur primitif, et s'est promis que ce calculateur mécanique serait capable de mesurer le temps qui passe avec une exactitude totale pendant les 10.000 prochaines années.

Dix mille ans. Plus que le temps qui nous sépare des premières cultures agricoles effectuées par l'homme. Deux fois le temps qui s'est écoulé depuis l'érection des pyramides d'Egypte. Quatre cents génération pour la race humaine.

Danny a créé une machine dont le mécanisme peut distinguer des 1 et des 0 avec précision pendant 3,65 millions de jours. Pour lui, l'horloge idéale émet un petit "clic" chaque année, sonne une fois par siècle, et crie "coucou!" à chaque nouveau millénaire...

Exercice de style ou chef d'oeuvre mécanique' Voilà une question sans réponse à ajouter à notre liste, car Danny Hillis le reconnaît bien volontiers : son invention ne servira à rien, si ce n'est, dans bien des années, à rappeler aux gens d'alors qu'il y a bien longtemps (aujourd'hui), un homme et son équipe ont imaginé une machine si parfaite qu'elle puisse encore fonctionner après dix mille ans.

Danny appelle sa création l'Horloge du Grand Maintenant, mais il n'est pas un illuminé pour autant. L'informatique, il connait. En 1975, alors qu'il faisait ses études au fameux MIT (Massuchesetts Institute of Technology) de Boston, il imagina avec quelques amis un ordinateur mécanique au moyen de 10.000 (eh oui, déjà...) pièces empruntées à des modèles réduits de voitures à ressort.

Dix ans plus tard, Danny met au point un ordinateur fonctionnant comme un cerveau humain. Son projet réunit non pas un, mais 65.536 processeurs au sein de sa Connection Machine, un super-calculateur, le plus rapide du monde à l'époque, si la légende est vraie. Une machine dont les circuits abordaient les problèmes de calcul comme le ferait l'esprit humain : en y consacrant toutes ses ressources en parallèle.

Notre homme a besoin de défis, puisqu'après avoir participé à la conception de l'ordinateur le plus rapide de son temps, il invente maintenant le plus lent...


Horloge grand maintenant
The clock is driven by binary mechanical computers called serial-bit adders with one adder per planet. An adder consists of a disk with an outer set of bit-pin levers, each of which can take on a value of "1" or "0," as well as an inner ring of fixed bit pins programmed with a mathematical constant that represents the duration of the planet's orbit. (A) The levers and pins are read by a series of channels in a cam slider that rotates in a carriage. (B) The slider also adds sums by tripping levers as it goes. (C) During each rotation, the slider jitters back and forth as it accumulates sums. (D) When the accumulated sums reach an overflow value, the slider pops out of the carriage and catches a Geneva wheel. (E) The movement of the Geneva wheel updates the planetary display.



Danny Hillis, qui a un temps travaillé chez Walt Disney Engineering dans la recherche et le développement, a donc conçu et fabriqué, avec l'aide de quelques amis, un prototype d'environ 1,5 mètre de haut. La version définitive de son Horloge du Grand Maintenant mesurera quant à elle plus de 18 mètres. A mi-chemin entre sculpture moderne et chef d'oeuvre de la mécanique, cette horloge affrontera au cours des dix prochains millénaires bien des dangers, qu'ils soient d'origine humaine ou non, aussi Danny, qui sait qu'il ne vivra pas dix mille ans, lui, prévoit déjà de recruter des collaborateurs pour s'en occuper après sa mort. A charge pour ces gardiens de perpétuer la tradition quand leur heure viendra, mais aussi de s'assurer que l'horloge monumentale de Danny génèrera de quoi subvenir à ses besoins, en terme de rentrée financières, s'entend.

Et puis il y a LE challenge : la source de l'heure, à savoir la position des étoiles dans le ciel, puisque c'est ainsi que l'Horloge du Grand Maintenant compte nous renseigner sur le temps qui passe. On sait depuis des siècles se servir de la position des étoiles dans le ciel nocture pour déterminer dans quelle phase de sa révolution annuelle autour du Soleil la Terre se trouve. Selon leur position par rapport à l'horizon, certaines étoiles nous permettent de dire en quelle saison nous sommes puis, en affinant l'observation, de fixer le jour, l'heure, les minutes, les secondes...

Pour une horloge qui donne l'heure exacte --à une seconde près sur dix mille ans-- pendant une aussi longue période, Danny a conclu qu'un incrémenteur mécanique devrait fonctionner en 28 bits. Autrement dit, chaque seconde qui passe se verra attribuer un code binaire de vingt-huit caractères. Et ce pendant dix mille ans. D'où la taille gigantesque de la machine, qui reprend en quelque sorte la principe des arbres à cames des anciens moteurs en étoile pour avions: des pièces rotatives, frappées de bossages (les cames) qui à chaque révolution (tour sur elle-même, soyons clair) mettent en mouvement translationnel des pièces mobiles disposées perpendiculairement à leur axe de rotation. Une fois le nombre "critique" de pièces réceptrices atteint, le système "déborde" sur l'unité de mesure de temps suivante : des secondes vers les minutes, des minutes vers les heures, des heures vers les...

Comme si une telle complexité ne suffisait pas, et étant donné que la Terre tourne sur un axe incliné de plusieurs degrés par rapport à la verticale, Danny a dû inclure dans sa machine un moyen de corriger les variations d'orbite de la Terre autour du Soleil, puisque c'est au moyen de la trajectoire de notre planète autour de son étoile que nous mesurons la longueur d'une année terrestre. Les illustrations que nous vous présentons vous en diront plus qu'un --déjà trop-- long discours. Sachez tout de même que Danny, en bon perfectionniste, a pensé à utiliser la chaleur dégagée par les rayons solaires pour mettre son horloge à l'heure du soleil : une pièce métallique très fine, lorsqu'elle est frappée par un rayon à midi précise, monte en température, se dilate et, en mettant d'autres pièces en mouvement, marque le passage dans l'après-midi.

Un autre mécanisme, sensible à la pression exercée par le poids des visiteurs sur une plate-forme d'observation, permet de remonter le mécanisme, même si ce dernier a été conçu pour fonctionner sans intervention humaine, grâce à une subtile combinaison de températures et de pressions du fluide ambiant, à savoir l'air.

En fait, et c'est assez surprenant, la question qui a le plus longtemps hanté Danny depuis la génèse de son projet est de savoir ce que cette horloge devait afficher: l'heure, soit, mais l'heure d'où' Et sous quelle forme' A cette double question, Danny n'a pas encore trouvé de réponse, ce qui risque de le mettre en retard dans la réalisation de son projet...

Notre homme sait seulement que son Horloge du Grand Maintenant devra décrire la position des planètes du système solaire par rapport à notre étoile, entre autres choses.

Et puis l'ingéniosité ne suffit pas toujours à réaliser les projets les plus ambitieux. Danny s'est trouvé, et se trouve toujours, confronté à la question du financement de son oeuvre. Il a en partie résolu l'équation en proposant aux mécènes intéressés des prototypes à échelle réduite de son Horloge du Grand Maintenant. Ainsi, le Muséum des Sciences de Londres a-t-il déjà contribué à l'avancement du projet, et reçu en retour une horloge de près de trois mètres de haut, dont la fabrication, qui a pris près de trois ans, n'a été terminée qu'une heure avant le passage à l'an 2000. A minuit précise ce soir-là, elle a pourtant sonné deux fois, comme prévu.

Une dernière question cruciale : même si les prototypes ont été construits en acier inoxydable, Danny se demande si ce choix tiendrait dix mille ans, d'où une inquiétude, et des recherches pour déterminer le meilleur alliage.

On le voit, l'idée a encore du chemin à faire. L'heure tourne, Danny...






Source : Slashdot