Brad Garlinghouse, vice-président de Yahoo, a peut-être voulu "dynamiser" ses troupes en laissant glisser vers la presse une note interne dans laquelle il mentionnait l'éventualité de grandes restructurations dans son groupe, mais il surtout suscité beaucoup d'émoi parmi ses troupes.


Sans mâcher ses mots
Le mémo(randum) qui fâche est l'oeuvre de Brad Garlinghouse, l'un des vice-présidents les plus expérimentés de Yahoo. Il a "malencontreusement" accepté qu'une note écrite de sa main parvienne à la presse américaine, et comptait sans doute créer dans le personnel de la maison une sorte d'électrochoc, mais il a surtout réussi à faire douter les plus ardents défenseurs du second moteur de recherche mondial. En quelques lignes, Garlinghouse met en cause la stratégie globale de Yahoo, qui selon lui manque "de cohésion".

"Notre compagnie n'a pas de réel objectif stratégique", laisse-t-il entendre, avant d'ajouter : "Nous voulons tout faire, et tout proposer, à tout le monde". Publiée dans le Wall Street Journal, samedi dernier, cette note a vu son authenticité confirmée par un porte-parole de Yahoo, mais ce dernier s'est refusé à émettre le moindre commentaire sur son contenu. Il est vrai qu'un jeu de chaises musicales se prépare chez Yahoo : son actuel président et PDG, Terry Semel, aura 65 ans en 2007, et devra passer la main. On évoque deux noms pour lui succéder, sous la forme d'une direction bicéphale : le responsable des opérations chez Yahoo, Dan Rosensweig, et son homologue à la direction financière, Sue Decker, pourraient co-diriger Yahoo dès le second semestre 2007, et profiter des informations divulguées par la note de Garlinghouse pour officialiser une drastique diminution d'effectif dans le groupe. On parle de 20% de personnel en moins au cours des douze prochains mois, mais il n'est pas sûr que cela suffise à enrayer la chute du cours de l'action Yahoo à la bourse. Aux derniers décomptes, on en était à - 31,5% depuis le début de l'année, et les revenus publicitaires suivent le même chemin.


Du beurre (de cacahuète) dans les épinards '
La note de Garlinghouse a déjà un surnom : on l'appelle "Le mémo au beurre de cacahuète", en référence au fait que, selon son auteur, Yahoo a tenté d'étaler le peu de beurre dont il disposait sur une trop grande tartine. Garlinghouse remet notamment en cause un mode d'organisation interne qui a peu ou pas évolué depuis la naissance de Yahoo, il y a douze ans. Et Garlinghouse d'ajouter qu'il déteste le beurre de cacahuète. Ceci explique peut-être cela...

Certains passages de la note sont pour le moins tranchants. L'un remet en cause la gestion globale de l'entreprise de Sunnyvale ("Il y a tellement de responsables, ou de gens qui se prennent pour des responsables, que plus personne ne prend de réelles décisions"), tandis qu'un autre critique la frilosité des dirigeants de Yahoo ("Je crois sincèrement que nous devons affronter nos problèmes, et les défis qui se présentent à nous, et ce de façon décisive"). Garlinghouse cite plusieurs exemples de groupes de travail dont les champs d'action se chevauchent de façon aussi évidente qu'improductive. Il estime que ces redondances étouffent les initiatives vraiment novatrices, et encouragent seulement au repli sur soi. Il parle enfin des bisbilles de bas étage qui conduisent aux pires mesquineries, et vont même jusqu'à une lutte entre services pour décider du meilleur contenu de la page d'accueil de Yahoo sur son site Internet.


Le rebond est déjà initié
Au delà de la polémique, Yahoo continue d'exister, bien entendu. Son PDG, Terry Semel, a donné comme à l'accoutumée sa conférence de presse trimestrielle, au cours de laquelle il a réaffirmé les orientations de la firme qu'il dirige. Il donne quelques pistes sur la manière de combler son retard par rapport au rival et (presque) voisin, Google, notamment en augmentant de manière plus rationnelle ses revenus publicitaires, et en s'investissant davantage dans les nouveaux vecteurs que sont la vidéo, les contenus pour mobiles et les sites communautaires. A l'issue de cette présentation, un communiqué de presse a été diffusé, dans lequel on pouvait notamment lire : "La note [de Garlinghouse] démontre que notre culture d'entreprise laisse une grande part à l'initiative individuelle, et que nos cadres ont à coeur de voir Yahoo accéder à sa vraie place sur la scène Internet."

Garlinghouse aurait pu voir sa carrière s'arrêter net, mais il n'en sera rien, du moins dans l'immédiat : la direction de Yahoo vient de lui confier la création d'un comité interne, chargé d'évaluer les méthodes de travail du groupe, et de proposer des solutions aux problèmes qui seront détectés. Notre homme a reçu l'appui de la plupart de ses collègues de l'encadrement, dont l'un se fend de ce commentaire : "Même si elle manque de précision, la note [de Garlinghouse] évoque des dysfonctionnements bien réels, et constitue pour nous un réveil salutaire. Il est temps de relever la tête".

Les premiers effets de cet électrochoc devraient se faire sentir dans les prochains mois. Nous vous en reparlerons.