Le secret est dans l'interface

Retour aux fondamentaux

iPhone...qui eût cru que ce simple terme allait déchaîner les passions tout au long de l'année 2007 et se transformerait au fil des mois en raz de marée médiatique, avec ses adorateurs et ses pourfendeurs ? Pour sa première incursion dans le monde de la téléphonie mobile, Apple a obtenu des résultats dépassant de loin ses espérances en matière de visibilité et de ventes.

Pourtant, le défi n'était pas joué d'avance sur un marché ultra-concurrentiel représenté à 80% par cinq sociétés seulement, ne laissant que quelques miettes aux plus petits acteurs. Plutôt qu'une concurrence frontale, forcément défavorable à un nouvel entrant, il fallait donc  attaquer le secteur sur l'un de ses points sensibles et faire une offre que les adversaires auraient du mal à contrer rapidement.

Le point de fragilité qu'a finement identifié Apple, c'est l'ergonomie des terminaux. Les appareils mobiles ont en effet gagné au fil des ans de multiples fonctionnalités, avec pour chacune un ensemble de menus qui, additionnés, finissent par desservir l'intention de séduction assurée par l'empilement des possibilités.

Et les enquêtes de satisfaction régulièrement menées auprès des consommateurs ne cessent d'évoquer la frustration de ces derniers devant des appareils mobiles incompréhensibles si l'on n'est pas versé dans la science des télécommunications ni particulièrement aventureux au-delà de trois sous-menus...

Ce que veulent les utilisateurs, c'est de pouvoir accéder rapidement à leurs fonctions préférées, voire d'en organiser eux-même la disposition tout en limitant le nombre d'actions à réaliser. Et c'est sur ce point qu' Apple a misé pour son premier téléphone portable.


Eloge de la simplicité
Deux éléments clé ont permis à Apple de se démarquer : sa technologie d'écran tactile multipoint et la présence d'accéléromètres. Pour comprendre leur importance, il faut d'abord rappeler que les écrans tactiles sont présents sur des PDA et PDAPhones depuis de nombreuses années, et un peu moins sur des téléphones portables.

Il ne s'agit donc pas d'une innovation majeure en soi introduite par Apple. Des quantités de terminaux sous système Palm ou Windows Mobile sont équipés d'interfaces tactiles depuis leurs débuts. Mais le plus de la firme de Cupertino, c'est l'aspect multipoint.

Alors que les PDA ne peuvent gérer qu'un point de contact unique sur leur dalle tactile, ce qui se limite à une action par point de contact, la technique employée par Apple permet de gérer plusieurs points de contact à la fois.

Cette distinction, qui peut sembler subtile, est en réalité beaucoup plus riche qu'il n'y paraît car elle permet de réinventer la façon de gérer l'interface tactile. Là où il fallait laborieusement multiplier les actions ( sélectionner l'objet, afficher le menu, sélectionner la fonction ) et donc les coups de stylet, l'interface de l' iPhone permet de réaliser la même action d'un glissement des doigts et d'une façon beaucoup plus intuitive.


Réaction de la concurrence
La concurrence a très bien compris le potentiel de cette technique pour renouveler l'ergonomie des produits mobiles. Le fabricant taiwanais HTC, spécialiste des produits mobiles, s'est empressé de proposer une première solution, avant même la sortie officielle de l' iPhone, sous la forme de la gestion d'interface TouchFLO, initiant une gamme de terminaux à succès dont le membre le plus représentatif est le PDAPhone HTC Touch.

Bien qu'il ne s'agisse que d'une surcouche pour Windows Mobile 6, cela reste un premier pas vers un renouveau des interfaces vers plus de convivialité et d'intuitivité, des aspects que Microsoft commence à prendre au sérieux en proposant des interfaces spécifiques pour certains terminaux.

Un autre exemple représentatif de l'importance de cette prise de conscience concernant l'ergonomie est l'annonce faite par Nokia en octobre dernier concernant la commercialisation en 2008 de téléphones portables sous Symbian S60 avec interface tactile.

Nokia avait déjà proposé des mobiles avec écran tactile mais dans des séries limitées et sans grand soutien. L'arrivée de l' iPhone, littéralement disséquée par le numéro un mondial de la téléphonie mobile, a vraisemblablement accéléré vers un retour en grâce de l'interface tactile chez Nokia, avec une subtilité supplémentaire, celle de la réponse à la pression sur l'écran, qui renforce l'expérience utilisateur en renvoyant une information indiquant la prise en compte de l'action tactile.


Accéléromètre, l'ingrédient (bientôt) indispensable
L'autre élément clé du succès de l' iPhone est la présence d' un accéléromètre permettant de faire basculer automatiquement l'affichage du mode portrait à paysage, et inversement, selon l'orientation du terminal. Là encore, d'autres appareils mobiles avant lui en étaient équipés mais, combiné avec l'interface tactile précédemment citée, l'accéléromètre renforce l'expérience selon laquelle c'est le terminal qui s'adapte à l'individu et non le contraire.

Les accéléromètres devraient être également une grande tendance de 2008 et se retrouver dans de nombreux appareils mobiles, téléphones portables, baladeurs multimédia, systèmes GPS autonomes, etc, grâce aux progrès réalisés par les dispositifs de type MEMS ( Micro Electro-Mechanical Systems ), dont la miniaturisation et les progrès de consommation d'énergie permettent désormais une utilisation dans les petits équipements mobiles.

Un certain nombre de fabricants se sont lancés dans la conception d'accéléromètres et la plupart des grands fabricants de mobiles ont commencé à les intégrer, comme Nokia dans son modèle Nseries N95 ou Sony Ericsson avec le W910.

Les accéléromètres vont permettre ici aussi de renouveler l'expérience utilisateur en créant de nouvelles habitudes et en limitant le nombre d'actions à effectuer, avec des possibilités limitées seulement par l'imagination lorsque des kits de développement sont proposés ( comme pour le Nokia N95 ).

Un modèle économique révolutionné

Logique économique
Comme on a pu le voir, l' iPhone se distingue du reste de la production mobile par son interface tactile multipoint et son accéléromètre. Mais ce qui fait également de ce terminal un produit à part, c'est la redéfinition des partenariats entre le fabricant et l'opérateur mobile.

Cet aspect, peu visible pour le consommateur sinon par les batailles auxquelles se sont livrés les opérateurs pour en obtenir l'exclusivité, est pourtant peut-être plus important que le produit en soi. Jusqu'à présent, ce sont les opérateurs qui ont maîtrisé la donne, acceptant ou pas tel appareil mobile sur leur réseau, ce qui équivaut quasiment à un droit de vie ou de mort sur le produit.

Par les subventions destinées à faciliter l'achat, par l'intégration dans leurs offres d'abonnement et la visibilité associée, les opérateurs imposent leurs conditions, jusqu'à personnaliser l'interface pour y mettre en avant leurs services ou bloquer temporairement l'utilisation du terminal sur leur seul réseau.

Avec l' iPhone, c'est l'inverse qui se produit. Apple impose ses conditions ( interdiction de personnaliser l'interface, pas de logo de l'opérateur sur le terminal ) et gère la campagne publicitaire associée. Pire, la société demande un pourcentage significatif sur les revenus générés par les abonnements.

Qu'est-ce qui incite les opérateurs à accepter ces conditions inédites ? La perspective d'en vendre de grandes quantités grâce au formidable engouement médiatique qui prépare le terrain depuis son annonce en janvier 2007.


De la puissance du buzz
Sur ce point, l' iPhone représente également une première : jamais un téléphone portable n'a créé une telle passion dans les médias et les blogs, des centaines de milliers de pages tour à tour spéculant, idolâtrant ou critiquant le mobile, la stratégie, les enjeux...sans que la société n'ait à débourser un centime.

Chaque bribe d'information a suffi à enflammer le Web et à en faire un sujet incontournable de discussion. Le niveau de visibilité auprès du grand public a atteint des records, porté par le véritable emballement médiatique autour de l'iPhone, déjà très positif alors même que très peu de journalistes avaient pu encore seulement l'apercevoir.

C'est pourquoi, malgré les conditions imposées par Apple, les opérateurs mobiles se sont battus pour obtenir l'exclusivité de la distribution du terminal, un autre élément introduit par Apple. Les heureux élus profiteront de la manne, les autres en seront totalement écartés. A tel point que, comme en Allemagne, des tentatives ont été réalisées pour casser le monopole de vente.

Si le marché américain a vu l'opérateur AT&T s'emparer avec succès de l'accord de distribution, la lutte a été rude en Europe, pour plusieurs raisons. D'une part, le succès de l' iPhone a été confirmé par les ventes initiales réalisées aux Etats-Unis. Ensuite, les utilisateurs américains se sont montrés plutôt satisfaits du produit et prêts à dépenser des sommes conséquentes pour l'acquisition et l'abonnement lié. Enfin, le terminal, présenté comme une révolution en matière d'accès à Internet, est censé amplifier la consommation de services data.

L'iPhone, terminal idéal ?

Caractéristiques
  • Dimensions 115 x 61 x 11,6 mm pour 135 g
  • Ecran 3,5" tactile multipoint 480 x 320 pixels
  • Système d'exploitation Mac OS X
  • Quadribande GSM / GPRS / EDGE
  • WiFi 802.11 b / g et Bluetooth 2.0 + EDR
  • APN 2 megapixels
  • Espace de stockage interne 8 Go
  • Autonomie 8 heures en conversation, 250 heures en veille
Les forfaits de l' iPhone en France

forfaits iphone

Un nouveau système d'exploitation mobile
Tout a été déjà dit ou presque sur l' iPhone, la qualité de son interface et le plaisir à manipuler l'appareil, mais il est intéressant de  tenter de replacer le terminal dans son contexte, celui d'un téléphone portable à la limite entre le mobile grand public et le smartphone.

Et d'abord, il convient de noter qu' Apple introduit un nouveau système d'exploitation mobile avec son terminal, ce qui lui donne l'avantage d'en posséder la maîtrise complète. Cet aspect est un classique dans la stratégie de la société et l' iPhone ne déroge pas à la règle.

Toutefois, pour en prolonger le succès, Apple fournira début 2008 un kit de développement afin de permettre la création d'applications tierces. C'est un premier pas même si une foule de développeurs sont déjà à l'oeuvre depuis les premiers jours du lancement du terminal pour contourner ses limitations ou inventer de nouvelles utilisations.

L'aspect fermé du système d'exploitation était une des clés de la réussite du modèle de distribution exclusive choisi par Apple, au moins pour les premiers mois de commercialisation. Malheureusement ( ou pas ), il n'a pas fallu longtemps pour éluder les protections, au prix, quand même, de quelques contorsions à l'occasion des mises à jour du téléphone.


Services et terminaux liés
Un autre point particulier de l' iPhone concerne son activation obligatoire via un compte iTunes, reliant le terminal au portail de téléchargement en ligne iTunes Music Store. Ce lien obligatoire est à la fois à l'origine du succès de l'offre de contenu d' Apple et un point de critique sans renouvelé sur l'absence d'ouverture du modèle.

Apple, avant les autres, a compris l'importance de lier un terminal à une offre de contenu pour former un tout, augmentant la visibilité des deux produits par un effet synergique. Depuis, de nombreuses sociétés ont tenté de renouveler le modèle, mais sans succès.

Jusqu'à Nokia, qui se tourne désormais vers les services et tente de créer cette valeur supplémentaire à partir de son portail Ovi d'une part et de ses terminaux convergents Nokia Nseries d'autre part. Mais la force d' Apple réside également dans le pouvoir d'attraction créé autour de sa marque. Le géant finlandais, malgré son inspiration ouvertement affichée du modèle Apple, pourrait trouver une pierre  d'achoppement pour sa stratégie mobile.


Origine outre-atlantique
Dernier point, enfin, et qui explique en partie les défauts, ou au moins les manques, de l' iPhone : celui-ci a été conçu d'abord pour le marché américain. L'absence de compatibilité 3G, l'impossibilité d'envoyer des MMS, l'absence du profil A2DP ( écoute stéréo sans fil ) en Bluetooth ou l'impossibilité de prendre des vidéos sont autant de points qui ne sont pas cruciaux aux Etats-Unis mais qui, directement calqués sur les marchés européens, ne peuvent être balayés du revers de la main, d'autant plus que l'aisance de la navigation Internet et l'aspect multimédia sont parmi les points principaux mis en avant pour l' iPhone.

L'usage des fonctionnalités mobiles annexes est plus développé en Europe qu'aux Etats-Unis ( qui rattrapent cependant très vite leur retard ), et il peut sembler dommage qu' Apple n'ait pas jugé bon de développer ces points dans une version de l' iPhone plus spécifiquement européenne.

Le produit possède donc une marge de progression et, sur ces aspects, il ne sera pas difficile de trouver des produits mobiles plus performants chez les concurrents. Mais les rumeurs de plus en pus précises concernant un successeur de ce modèle pourraient ajuster le tir.

Conclusion

Ce petit tour d'horizon a permis de se faire une idée sur les apports de l' iPhone à l'industrie mobile et pourquoi ce premier terminal a fait couler tant d'encre réelle comme virtuelle. Comme tout produit déchaînant les passions, il aura toujours ses adorateurs et ses détracteurs, quels que soient les arguments avancés.

Objectivement, l' iPhone a bousculé certains aspects de la téléphonie mobile sur lesquels les acteurs en place n'évoluaient plus beaucoup et surtout a remis l'expérience utilisateur au coeur de la problématique de la conception d'un téléphone portable.

Ce point est reconnu par tous et d'abord par les concurrents dont certains vont s'inspirer directement des éléments introduits pas Apple pour leur prochaine génération de produits mobiles. Les aveux des responsables de Motorola et de Nokia sont ici sans équivoque.

Mais au-delà de la prouesse technique, Apple a également modifié les relations entre fabricants de mobiles et opérateurs, en redonnant aux premiers un rôle de premier plan dans les négociations. Pour qu'un opérateur accepte les conditions imposées par la firme à la pomme, nouveau venu sur le marché, il fallait toute la capacité d'attraction de la marque et sa maîtrise du buzz pour faire basculer la négociation en sa faveur. Il n'est cependant pas dit que le modèle économique de l' iPhone puisse se renouveler facilement.

Finalement, tout le monde devrait s'en sortir : le fabricant écoulant ses terminaux et récupérant une partie des revenus générés sur les forfaits, les opérateurs attirant des clients prêts à payer un abonnement à un tarif non négligeable sur 12 à 24 mois et prêts à consommer plus de trafic data que la moyenne et des clients ayant la sensation de détenir un téléphone hors du commun, satisfaisant les ego des uns ou le simple plaisir pour les autres de posséder un bel objet.

Il n'en reste pas moins qu'un iPhone de seconde génération, compatible 3G et corrigeant les défauts de jeunesse du premier, ou plus exactement prenant plus finement en compte les besoins des utilisateurs européens, et intégrant, pourquoi pas, une fonctionnalité GPS, aurait vraiment de quoi faire basculer certains avis mitigés.

Mais d'ici là, la concurrence se sera ressaisie de l' "effet iPhone" et devrait à son tour proposer des terminaux venant compléter la niche habilement occupée par Apple. L'effet de décalage par rapport au reste du marché sera alors moins flagrant, même si Apple est bien parti pour se placer comme acteur atypique mais influent dans le secteur de la téléphonie mobile.