À moins d'être en hibernation depuis plusieurs mois, impossible de ne pas avoir entendu parlé d'Hadopi, cette Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. Alors que les discussions battent leur plein au sein de l'Assemblée nationale, certains collectifs, internautes, associations, expriment leur désaccord. Cette loi suscite bien l'intérêt collectif.

D'un côté, nous avons Denis Olivennes, patron de la FNAC, qui proposa en novembre 2007 la création d'une autorité qu'on appelle aujourd'hui l'Hadopi. Nous avons également les majors, toujours prêtes à partir en guerre contre les méchants réseaux P2P. De l'autre, nous avons l'internaute moyen qui télécharge quelques films, jeux ou musiques pour son utilisation personnelle, et puis des collectifs organisés comme La Quadrature du Net.

Il est donc question du piratage. Mais s'il est certain que le piratage est un phénomène de plus en plus ancré dans les mœurs du réseau des réseaux, il n'en reste pas moins que son impact est certainement minime.

En effet, concernant le cinéma, Allociné nous rapporte, fin 2007, que la fréquentation des salles a baissé de 1.1 % en un an, principalement au profit de la VoD et de la TV payante. D'autre part, il aura fallu attendre Bienvenue chez les Ch'tis pour que les productions françaises intéressent davantage les Français que les productions étrangères, et notamment américaines. Signalons également que le prix du billet d'entrée au cinéma n'a cessé de grimper, bien plus que s'il avait dû suivre le coût de la vie des ménages, selon le Sénat lui-même.

L'INSEE nous rapporte qu'en 1998, les salles obscures ont accueilli 170.6 millions de spectateurs. En 2005, ils étaient 175.5 millions. Il y a deux ans, 177.5, après avoir été 188.8 en 2006. Malgré le prix du ticket de cinéma, la fréquentation des salles augmente. Le pic de 2006 est attribué au film Les Bronzés 3 - Amis pour la vie, qui a totalisé plus de 10 millions d'entrées. Dernière statistique intéressante : le site TorrentFreaks nous informe qu'en 2008, le film le plus piraté, donc téléchargé illégalement, est The Dark Knight. C'est aussi un film qui a engrangé près d'un milliard de dollars de recette... Et si l'on est plus chauvin, la même année, le film de Dany Boon a raflé plus de vingt millions d'entrées, phagocytant les autres productions comme Astérix aux Jeux Olympiques, le plus cher de l'histoire du cinéma français. Qui peut encore prétendre que le soi-disant déclin du cinéma est dû au piratage ?

Quand au marché de la musique, lui aussi est censé être sur le déclin. Il serait sans doute plus judicieux de préciser que c'est le marché du support musical, du type CD audio, qui est sur le déclin, au profit de la musique téléchargée légalement sur internet. L'IRMA, le centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles, nous informe qu'effectivement, le marché du support musical, c'est-à-dire CD et DVD audio, est en forte baisse (par exemple, un chiffre d'affaires 18.3 % inférieur en 2007 par rapport à 2006), alors que dans le même temps, l'INSEE note une augmentation de 16 % du marché de la musique numérique. Toujours selon l'INSEE, et toujours pendant la période 2006-2007, les titres francophones ont été moins diffusés que les titres étrangers. Ce n'est pas tant l'industrie musicale qui est en berne que l'industrie musicale française.

Mais revenons-en à ce qui nous intéresse : Hadopi. Cette autorité aurait pour mission de suspendre l'abonnement à Internet de toute personne reconnue coupable de téléchargement illégal et de surveiller les droits d'auteur sur internet. Il semble d'ailleurs que ce soit cette mission qui soit la plus décriée : Internet est considéré par tous (ou presque) depuis le début (ou presque) comme un espace d'échange libre, gouverné exclusivement par le bon sens de chacun, et le respect des autres. Une autorité surveillant cet espace est vue comme un mauvais présage, annonçant la fin prochaine de la liberté sur Internet.

Mais soyons clairs : il est évident que la liberté ne signifie pas pour autant la liberté de ne pas respecter les droits d'auteur. Personne n'aimerait que son œuvre soit pillée, diffusée largement sans rétribution, à moins d'avoir prévu spécifiquement cette méthode de diffusion, exactement comme les logiciels libres. Peut-être, d'ailleurs, que les éditeurs devraient s'inspirer de ce modèle.

Cerrone-By-Jamie-Lewis Citons en exemple Cerrone, pour qui " la musique est vouée à être gratuite ". Il offre son dernier album en téléchargement libre sur son site internet, en guise de protestation contre Hadopi. Ce n'est pas pour autant qu'il va y perdre au change. Rappelons-nous d'autres artistes qui, avant lui, ont offert ne serait-ce qu'un seul titre en téléchargement gratuit : tous ont confirmé la réussite de l'opération.

Peut-être faut-il simplement s'adapter à son temps : plutôt qu'empêcher le téléchargement illégal, ne faudrait-il pas encourager le téléchargement légal ? En baissant les prix ? En améliorant la qualité des productions, ainsi que des fichiers informatiques ? Pourquoi ne plus parler de la taxe globale ?

En fait, est-ce que pour vous Hadopi représente vraiment le grave danger qui inquiète tant la Quadrature du Net et bien d'autres acteurs, n'est-ce qu'un mal nécessaire ou une vraie avancée pour la protection des droits d'auteur ? Et pourquoi cette loi passerait-elle en France, alors qu'elle a été abandonnée en Australie et en Nouvelle Zélande ?