L'heure est à la prise de conscience. Les entreprises tardent à adopter IPv6, la nouvelle version du protocole Internet. Certes, les statistiques sont en nette augmentation mais le taux d'utilisation d'IPv6 reste désespérément faible, soit 4,55 % d'internautes dans le monde au 1er octobre 2014. Pourtant, la menace d'une pénurie d'adresses IPv4 approche à grands pas. Après le Registre Internet Européen (RIPE) en septembre 2012, l'organisme qui distribue les adresses internet en Europe, l'ARIN son homologue en Amérique du Nord a annoncé en avril dernier l'atteinte du seuil le plus critique dans la distribution des adresses IPv4.

La multiplication des objets connectés impose le passage à IPv6

Hugues-Clipet Ce passage à IPv6 est connu de tous depuis longtemps. Conçu dans les années 80, le protocole IPv4 dispose d'un stock disponible de 4,3 milliards d'adresses IP individuelles. Un chiffre que l'on pensait ne jamais atteindre à l'époque - personne n'ayant anticipé le formidable développement d'Internet. Dans la perspective d'une pénurie d'adresses, un nouveau protocole a été développé au cours des années 90 qui a multiplié de façon illimitée le réservoir disponible grâce au passage de la longueur des adresses IP de 32 à 128 bits. Dans l'absolu, il faudrait placer plus de 667 millions de milliards d'appareils connectés par millimètre carré pour saturer le système. Cette réserve gigantesque d'adresses publiques est un atout pour l'innovation dans la perspective de la multiplication des objets connectés.

Au-delà, IPv6 corrige certains défauts de son prédécesseur. La mobilité n'existait pas lors de la création d'IPv4. De fait, il ne sait pas la gérer simplement. IPv6 élimine également le recours à la notion d'adresse privée. Avec le nouveau protocole, il n'y a plus que des adresses publiques ce qui garantit une vraie connectivité de bout en bout et l'amélioration de la performance des routeurs. Fini également la notion d'adresse temporaire. Côté sécurité, IPv6 intègre en standard le mécanisme IPSec, ce qui simplifie la configuration.

Les entreprises retardent l'adoption d'IPv6 en utilisant des solutions de contournement

En dépit de ces avantages et de la pénurie annoncée, les entreprises temporisent. Il faut dire que beaucoup d'opérateurs disposent encore de stocks d'adresses IPv4 qu'ils peuvent écouler. Même si ceux-ci fondent comme neige au soleil, les entreprises ne ressentent donc pas forcément l'urgence de passer au nouveau protocole. Elles recourent en outre à toute une panoplie d'outils permettant d'économiser les adresses IPv4 afin de repousser les investissements nécessaires. Citons par exemple la distribution automatique d'adresses temporaires (grâce à DHCP) ou l'utilisation massive du mécanisme de traduction d'adresse (NAT) qui leur permet de multiplier les appareils invisibles de l'internet sur le réseau local.

Face à cette inertie, des mesures incitatives s'imposent. Il s'agirait de mettre fin à la possibilité pour tous les équipements d'utiliser indifféremment les deux protocoles en parallèle. Les régler par défaut en adressage IPv6 inciterait les entreprises à passer à cette version supérieure. Un groupe de parlementaires a d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens en juillet dernier. Une date butoir quant à l'arrêt d'utilisation d'IPv4, selon les modalités définies lors du passage à la TNT, pourrait même être envisagée. Il convient également de donner un plus grand poids à IPv6 dans les cursus de formation professionnelle afin de favoriser sa diffusion. Il serait aussi vertueux que l'IETF (Internet Engineering Task Force), qui normalise actuellement HTTP 2.0, fasse en sorte qu'IPv6 soit le protocole natif. Enfin, une campagne de sensibilisation de tous les professionnels informatiques orchestrée par les pouvoirs publics et les opérateurs serait de nature à accélérer la prise de conscience.