Si on devait présenter Second Life pour ceux qui ne connaissent pas cet univers catalyseur de fantasmes, nous pourrions dire qu’il s’agit d’un monde numérique plus ou moins vierge qui ne demande qu’à accueillir des pionniers en quête d’expériences qui correspondent parfois à leur biographie ou qui, le plus souvent, sont en décalage avec les existences bien réelles de ces hommes et femmes devenus du jour au lendemain explorateur ou conquistador. Ce jeu/logiciel est par ailleurs téléchargeable gratuitement.

Un Nouveau monde…
D’ailleurs, à ce jour, on peut dénombrer plus de 2 millions d’individus qui vivent une seconde existence (littéralement) sur ce continent qu’ils peuvent modeler à leur convenance. Cette Utopie lancée par le développeur californien Linden Lab en mars 2002 a depuis fait son petit bonhomme de chemin : la communauté de Second Life est à prendre au sens propre et plus de 7 millions de (vrais) dollars circulent chaque mois dans ce monde virtuel. Il ne manquait plus qu’aux opportunistes de s’en servir comme vitrine, miroir grossissant, voire tribune de propagande.

Chose faite depuis un moment avec l’implantation successive des entreprises du monde réel (Adidas, Toyota, American Apparel, Starwood, IBM etc.), d’agences de presse (Reuters, Wired, Bild etc.) ou de politiques. En effet, dès le 31 août dernier, le représentant démocrate Mark Warner – enfin, son avatar du moins… - donnait une interview à l’influent reporter Hamlet Au. En ce faisant, le politique faisait stricto sensu « acte de naissance » dans Second Life : il lance une existence « physique » tout en « existant » dans la presse. Le minimum de ce que cherche tout politicien me direz-vous…


… pas si nouveau que ça
Car, pour information, le très célèbre Hamlet Au agit comme journaliste pour son blog New World Notes, une tribune dédiée à la vie sur Second Life. Plus récent, le 24 octobre, l’UKIP, le parti de l’indépendance du Royaume-Uni, notoirement europhobe et anti-immigration, affirmait qu’il allait installer un local sur ce continent. Le 3 novembre, 4 membres du parlement néerlandais – le conservateur Zsolt Szabó (VVD), la socialiste Arda Gerkens (SP), le démocrate-libéral Bert Bakker (D66) et le démocrate-chrétien Ad Koppejan (CDA) – ont continué leur campagne pour les législatives sur la place d’Amsterdam reconstituée ! Oui, rien que ça !


Front national second life small


Quid des Français, vous demandez-vous ' Eh bien, le rôle de pionnier en matière d’immigration vers le virtuel revient au… Front National. Le parti de Jean-Marie Le Pen se vante ainsi d’être « le premier parti politique français et européen à établir une présence officielle et permanente sur Second Life, et la seule organisation officielle française à y être présente. » Justement premier malgré la présence d’une caricature de Ségolène Royal en une espèce de Wonder Woman issue d’une bourgade du nom de Little Deauville (sic).


FN en campagne virtuelle
Ce bureau virtuel du FN a été lancé par le Front national de la jeunesse mosellan, une branche locale qui veut y « promouvoir la candidature de Jean-Marie Le Pen », « rassembler les adhérents et sympathisants FN de Second Life » et, accrochez-vous, « promouvoir la présence des organisations et entreprises françaises dans les mondes virtuels, jusqu’à présent monopolisés par les Anglo-saxons »… FN jusqu’au bout donc. Même (surtout…) dans la virtualité.

Petit tour du propriétaire : des slogans « frappeurs » (« Le Pen, politiquement non modifié »), des tracts, des photos diverses, un lien vers le discours de Valmy, un ordinateur qui permet de se connecter au site web du parti ou de prendre gratuitement sa carte virtuelle d’adhérent. Dans le voisinage immédiat, on tombe sur une boutique paramilitaire vend des uniformes rappelant ceux de la Wehrmacht, plus loin, un supermarché de fusils d’assaut…

Nos confrères du site Ecrans ont d’ailleurs tenté une immersion dans cet univers et sont allés directement interroger les militants frontistes dans leur local sur Second Life. Vous pouvez suivre leur déambulation et leur entretien avec les lepénistes sur cette page.


Critique sans censure
Vous vous en doutez, la présence du FN sur Second Life a vite ému certains. En effet, sur le blog Second Life Herald, consacré à l’actualité du monde virtuel, les e-citoyens se disent outrés de voir « l’intrusion » de l’extrême-droite dans Second Life. Heureusement, l’éditeur du Second Life Herald, Urizenus Sklar, alias Peter Ludlow, professeur de philosophie et de linguistique à l’université du Michigan n’est pas favorable à une censure.

« Il serait probablement impossible de maintenir de telles organisations hors de Second Life. Je pense que c’est mieux que des groupes comme le FN s’exposent tel qu’ils sont réellement. C’est l’avantage d’un média social interactif comme Second Life par rapport à d’autres médias comme la télévision et la radio. Si j’écris une histoire sur le QG du FN, les gens vont réagir, fournir des liens sur toutes les phrases dérangeantes de Le Pen. Certains vont essayer de le défendre, mais si leur défense est erronée, ils s’exposent aux contre-feux. Quant aux créateurs de Second Life, leurs règles sont très générales. Pour que Linden Lab bannisse le FN, il faudrait qu’il se montre manifestement raciste », affirme-t-il avec une justesse critique  fort perspicace.

Or, les manifs, tags et chahuts anti-extrême droite ne sont point proscrits… De là à dire qu’on vous donne des idées…