Moi, moche et culte

Fabien me parlait récemment de Deadly Premonition comme d'un "jeu buzz". Si tout comme moi, vous aviez été conquis par le trailer de lancement du jeu, alors vous imaginez bien que toute cette agitation autour de ce titre était, à mon sens, un minimum justifiée. Malheureusement pour moi, possesseur d'une seule machine HD, la PS3, Deadly Premonition n'est sorti que sur Xbox 360 en Occident. Et n'ayant pas été capable d'attendre une hypothétique version 3DS, je me suis tourné vers la mouture PS3 asiatique du jeu, la plus compréhensible pour un français moyen (doublage US et sous-titres japonais). Autre point de regret, ma maîtrise de la langue nippone, aussi faible qu'un Silvio Berlusconi devant une call girl en exercice. Je vous demanderai donc de considérer mes propos futurs sur Deadly Premonition (Red Seeds Profile en V.O.) comme de simples impressions (certes détaillées) et non pas comme un véritable test précis et complet. De toute manière, si vous êtes ici, c'est bien parce que nous avons estimés, envers et contre tout, qu'il était de notre devoir de vous informer sur ce jeu disponible chez nous depuis la fin d'année dernière.

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Une jeune femme éventrée, et la vie de Francis York Morgan va s'en trouver basculée.

Au Japon et dans les autres territoires asiatiques donc, Deadly Premonition se nomme "Red Seeds Profile", et cette dernière appellation est sans doute celle qui sied le plus au jeu, car se référant à son élément-clé le plus fort : des graines rouges (dans un souci de compréhension, je parlerai désormais ici de Deadly Premonition en lieu et place de Red Seeds Profile). Ces graines, l'agent du FBI Francis York Morgan les collectionne, mais pas après l'apparition d'un TOC. Il les a en effet récoltées sur les lieux de plusieurs crimes, perpétrés à première vue par un seul et unique tueur.

La cinématique d'introduction de Deadly Premonition, qui nous met en deux temps, trois mouvements dans l'ambiance, met en scène deux enfants et un vieillard découvrant le cadavre d'une jeune femme clouée sur un arbre. York est appelé sur cette affaire et va devoir faire équipe avec la police de Greenvale pour élucider les mystères entourant ce meurtre et les précédents, qui seraient tous liés entre eux. Le shérif de Greenvale, George Woodman, se montre peu enclin à coopérer, mais son adjointe Emily Wyatt semble davantage prête à porter assistance à l'agent fédéral.

La force des mots, le poids des images

Il est bon de savoir qu'à l'origine, le jeu s'appelait "Rainy Woods" et cultivait d'évidentes ressemblances avec la série Twin Peaks (pour ce dernier point, c'est d'ailleurs toujours le cas dans la version finale). Autre information très intéressante, le développeur de Deadly Premonition, Access Games, comporte dans son équipe des personnes ayant travaillé sur le tout premier Resident Evil, quelques Silent Hill et même Parasite Eve. On a fait pire comme CV (la voix de l'agent Morgan, Jeff Kramer, est pour l'anecdote celle du poisson à tête d'homme Seaman). Deadly Premonition met donc facilement et rapidement mal à l'aise, la faute à des plans travaillés et à des environnements grandement anxiogènes. Sans oublier que dans ces derniers se meuvent des personnages aux motivations pas évidentes et aux faciès particuliers, inquiétants pour certains et très "américains". Normal, l'action se déroule aux Etats-Unis d'Amérique.

Deadly Premonition Xbox 360 (3) Évacuons sans plus attendre le premier point noir du jeu, celui qui frappe d'entrée : la réalisation graphique, datée au point qu'on en arrive à se demander si le développement de Deadly Premonition n'a pas débuté sur Dreamcast ou PS2 (ah, il se trouve que si après recherches, en 2004 précisément). Les textures sont pauvres et les animations peinent énormément à convaincre. Ajoutez à cela des personnages qui gesticulent souvent de la même façon lors de leurs interventions vocales, faussant leur crédibilité, et bien sûr, des bugs à la pelle pour parachever le tout, et vous disposerez alors d'un ensemble relativement repoussant. L'œil attentif et conciliant accordera pourtant au visuel de Deadly Premonition d'être très immersif, on peut revenir à ce propos sur les visages qui nous captivent étrangement malgré le peu d'expressions les animant. Mais vraiment, il en faudra du courage pour supporter le fait que Deadly Premonition n'ait été en aucun cas optimisé pour tourner parfaitement sur PS3 (et probablement aussi sur Xbox 360).

Comment définir le genre de Deadly Premonition sans mal le cataloguer ? Oui, les premières minutes de jeu (celles suivant le crash de votre voiture) le placent directement dans la catégorie survival horror, sans hésitation. Avec des armes, munitions, objets-clé ou de soin à ramasser, des ennemis glauques et désarticulés à renvoyer à la terre, toute autre classification aurait été étonnante. Sauf que le jeu alterne ces phases d'action avec d'autres orientées exploration (dans la ville de Greenvale), à la manière d'un GTA. Contrairement au titre de Rockstar, Deadly Premonition n'offre cependant pas une bourgade très animée. L'enquête de l'agent York l'amènera à souvent rallier un point précis de la ville, à pied ou en voiture. Même en ne comprenant pas grand chose aux dialogues, on ne se trouvera jamais perdu, une indication rouge nous signalant toujours la destination à rejoindre. Voilà là un aspect formidable du jeu pour les non-japonisants, mais les joueurs en général pourront regretter de se voir ainsi mâcher le travail. D'autant que le jeu n'est globalement pas très dur (mises à part quelques énigmes pas faciles à résoudre).

Une splendide beauté intérieure...

Arrivé à ce stade du "test", vous ne savez pas vraiment pourquoi Deadly Premonition a écopé d'un 9 (je vous connais, je fais pareil). Ne vous en faites pas, les explications ne vont pas tarder. Si on arrive à passer le cap des graphismes et à accepter de rentrer dans le trip proposé, on se sent rapidement enveloppé par l'atmosphère, semblable à celle qui a fait la renommée de la série Silent Hill. Jouer à Deadly Premonition implique de ne plus prendre conscience de ce qui nous entoure et de se consacrer totalement au jeu. Quand arrive le moment où l'on doit diriger l'agent York pour la première fois, sa voiture est H.S., la pluie transperce ses vêtements et la visibilité est à peu près bonne lorsqu'un éclair vient illuminer l'écran. C'est à cet instant que l'on commence à apprivoiser la maniabilité du titre. Si vous avez l'impression que York se traîne trop, vous pouvez le faire courir en appuyant sur Carré, mais la jauge sous votre barre de vie se mettra alors à se remplir progressivement pour finalement vous affaiblir si votre course dure trop longtemps. Intéressant, et pas tellement pénalisant car il ne suffit que de quelques secondes de repos à York pour voir sa seconde barre se vider complètement.

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Emily et York, ou un couple qui ne dit pas son nom.

Pour être franc, je n'ai pas pesté sur ma DualShock 3 pendant que je parcourrais Deadly Premonition. Pas beaucoup de fois. Les limites de la jouabilité de ce titre se montrent surtout quand des morts-vivants nous attaquent. Car quand York passera en mode "Profiling" (récolte d'indices amenant à reconstituer les pièces d'un puzzle), il croisera sur son chemin ce qui semble être des habitants de Greenvale version "je m'insinuerai bien dans ta bouche". Quelques petits conseils pour s'en sortir face à eux. Premièrement, éteignez votre torche dès que vous le pourrez avec Triangle. De cette manière, les ennemis auront plus de mal à vous repérer, et soit dit en passant, vous n'y perdrez pas vraiment au change. Secundo, marchez d'un pas discret, ce qui ne vous sauvera cependant pas toujours. Il est conseillé de leur tirer dessus de loin, car sitôt que ces créatures seront au courant de votre présence, elles useront de la téléportation pour se retrouver devant vous en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ultime recommandation : visez la tête, vous en finirez plus vite. Le jeu utilise un système de visée pas trop mal fichu s'apparentant à celui de Resident Evil 4, et la sélection des armes se fait en appuyant sur les touches haut et bas du pad directionnel. En revanche, pour vous soigner ou bien consulter la carte, vous serez obligés de passer par un menu de pause péniblement long à charger. Tenez, pour en revenir rapidement à Resident Evil 4, Deadly Premonition joue le copieur et n'autorise également pas à York de tirer en marchant/courant (mais il pourra au moins strafer).

Pendant ces parties "Profiling", vous avancerez le stress au ventre et la peur de vous retrouver encerclé de toutes parts. Parce que ce dernier cas de figure mettra en évidence une lacune de gameplay, celle qui fera que York peinera à agir contre plusieurs ennemis sans se faire toucher. La caméra n'est pas une bonne alliée dans ces situations, et c'est bien dommage tant il est difficile de tenir vos adversaires à distance une fois qu'ils vous ont pris pour cible. Cela s'arrangera lorsque vous ferez l'acquisition d'armes puissantes telles que le fusil à pompe, bien pratique pour faire reculer plusieurs monstres en même temps. Votre arsenal se renforcera de plusieurs manières : soit en allant rendre visite à un marchand d'armes, soit en sélectionnant l'option "Panda Bear" lors de l'ouverture d'un coffre (vous savez, les mêmes qui permettent de déposer des objets et/ou de s'en pourvoir dans Resident Evil). Mais je l'avoue bien volontiers, je n'ai pas encore évoqué le cœur du jeu.

... à qui l'on passerait bien la bague au doigt

Pourquoi un tel battage autour de Deadly Premonition ? Pour son scénario, imprévisible et délicieux dont l'écriture surprend tant elle n'apparaît pas conforme au moule habituel. C'est qu'il n'est pas courant de rencontrer un héros de jeu vidéo schizophrène, cinéphile et amateur de bonne cuisine. Francis York Morgan s'adressera effectivement souvent à Zach durant son enquête, une seconde personnalité que le joueur incarnera vraisemblablement par divers choix d'actions. York est également quelqu'un de difficilement perturbable et d'accroc à la cigarette. Et pourtant, on ne l'entendra pas tousser une seule fois dans tout le jeu.

L'histoire de Deadly Premonition paraît avoir été écrite pour un média autre que vidéoludique, on le ressent par exemple dans certaines cinématiques où les silences durent un certain temps, comme pour permettre au joueur de cogiter par lui-même, en lui donnant l'occasion de se faire ses propres suppositions à défaut de faire le boulot à sa place. Comme dans un film, une série américaine de haut calibre. Le joueur que je suis se délecte de chaque séquence grâce à la mise en scène impeccable du soft, et finalement, on en vient à se dire que mieux réalisé, le titre d'Access Games n'aurait peut-être pas été aussi marquant. Pourquoi ? Ce point a été cité plus haut, le travail accompli sur l'animation des protagonistes témoigne d'une relative maladresse. A côté de ça, vous avez des dialogues intelligents et des personnages forts qui gomment légèrement ce défaut. Et puis souvenez-vous de ces productions 16 bits où il était nécessaire de faire fonctionner nos méninges pour pallier au manque d'expressions et d'animations des petits bonshommes que nous dirigions. C'est un peu la même chose qui se produit avec Deadly Premonition : nous faisons nous-mêmes les liens avec notre imagination pour considérer les scènes comme nous voulons qu'elles soient. On sent une vraie honnêteté dans le scénario, une volonté de nous livrer, non pas un prétexte scénaristique, mais une véritable histoire qui relèguerait presque au second plan le jeu à proprement parler. Il n'en est cependant rien, et ce bien que les différents gameplay de ce titre n'offrent pas la même satisfaction.

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Ce n'est pas pour être désagréable, mais il me semble que ça ne va pas chez vous.

La conduite en voiture est agréable, York profitant des trajets pour étaler sa culture cinématographique. Par contre, pas question de foncer comme un malade sur la route (sécurité des civils oblige), la vitesse de votre véhicule est à ce titre limitée (mais vous pourrez l'outrepasser en enclenchant la sirène). On appréciera le souci du détail apporté au jeu se traduisant ici par la présence de ces inutiles clignotants et de ces essuie-glaces qui caressent la pluie plus qu'ils ne la fouettent. Au passage, amusez-vous à jouer avec la caméra avec L3, vous verrez que York n'a en fait pas de tête. C'est l'un des rares bugs du jeu qui fasse sourire.

Deadly Premonition emprunte à Majora's Mask, Shenmue ou encore à Gregory Horror Show cet aspect "voyeur de la communauté", qui vous fera vous intéresser à l'emploi du temps de toutes les personnes résidant à Greenvale. C'est du reste de cette façon que vous pourrez participer aux quelques cinquante missions annexes du titre. Sachez que vous n'aurez pas toujours l'occasion de vous adonner à ces activités dispensables suivant votre avancée, un constat plutôt triste pour les joueurs non prévenus et qui souhaiteraient boucler le jeu à 100%. Soyez également prévenus que le temps qui passe fera baisser votre jauge de sommeil, et que votre barre de "miam-miam'" aura elle aussi grand besoin d'être remplie une fois que York quittera le pays des songes. Et sans prendre attention à ces indicateurs, votre barre de vie finira par diminuer toute seule. Mais ce cas de figure risque peu d'arriver, rassurez-vous.

Et puis, parce qu'il s'agit d'un point que nous avons failli oublier, on a quand même fichtrement peur dans Deadly Premonition. Pour vous dire, il est très facile de s'en apercevoir : en étant sujet à la frayeur, vous maudirez les écrans rouges de chargement et bénirez les "sains" (les premiers annonçant des passages fortement animés et les seconds sur fond noir, des moments plus tranquilles). En effet, lorsqu'après avoir passé plusieurs dizaines de minutes dans un sombre manoir à tenter d'échapper à vos assaillants, vous verrez enfin, juste après une cinématique et sans prévenir, le "loading screen" perdre sa teinte sang, vous vous surprendrez presque à lâcher un lourd soupir de soulagement.

Un dernier mot, Zach ?

Du début à la fin, Deadly Premonition demeure sur son piédestal et ce ne sont pas les quelques errances apparaissant vers le terme de l'aventure qui remettront en question son incroyable niveau. Cette enquête policière à la saveur "silent hillienne" et flirtant avec le surnaturel ne devrait pas vous laisser de marbre, et pour en profiter au mieux, nous ne saurions que trop vous conseiller d'y jouer la nuit avec un casque vissé sur les oreilles (et un avis favorable de votre médecin). Deadly Premonition s'amuse du joueur, s'amuse avec lui et le surprend constamment. Les répliques sonnent juste, en particulier celles du personnage de Francis York Morgan qui se démarque du casting grâce à son flegme à toute épreuve. Un nouveau héros est né, et avec lui, mon coup de cœur absolu de cette génération.

Deadly Premonition est disponible sur Xbox 360 à partir de 28,45€. Vous pouvez également le trouver sur PS3 en import (japonais et asiatique) sous le nom "Red Seeds Profile".

Note : les captures d'écran figurant dans ce test proviennent de la version Xbox 360 du jeu, que nous avons pu essayer après la rédaction de ce test. Nous en retiendrons une traduction française des textes parfois paresseuse.

Red Seeds Profile (Deadly Premonition PS3) - jaquette Deadly Premonition - jaquette Xbox 360

+ Les plus

  • Une claque narrative et auditive
  • Un scénario qui tient en haleine
  • Ambiance saisissante et terrifiante
  • Le personnage de York
  • Une ville de Greenvale "vivante"
  • Durée de vie très satisfaisante

- Les moins

  • Finition absente
  • Limite techniquement
  • Aurait pu être plus maniable (interface à revoir notamment)
  • Malheureusement peu rejouable
  • Tuer le temps peut s'avérer vraiment ennuyant (en V.O. of course)
  • Traduction pas terrible des textes (Xbox 360)