Ci-dessous, un communiqué qui nous a été transmis cette semaine.

Une enquête réalisée sur 100 000 adolescents japonais révèle qu'utiliser Internet peut engendrer une dépendance au même titre qu'une drogue. Nicolas Oliveri, enseignant-chercheur en communication à l'IDRAC et auteur de « Cyberdépendances. Une étude comparative France-Japon » et « Les jeux vidéo : quand jouer c'est communiquer », revient sur le phénomène de l'otakisme japonais, phénomène de relation fusionnelle aux nouvelles technologies et donne sa vision de cette cyberdépendance en France chez nos jeunes et ses risques.

1. Cette enquête révèle que 8,1% des lycéens et collégiens japonais souffrent d'une dépendance à Internet, que cela soit aux échanges de messages, aux jeux ou aux autres activités en ligne et seraient incapables d'arrêter (les lycéens (9,4%), collégiens (6%), mais aussi plus les filles (9,9%) que les garçons (6,4%)). Qu'est-ce qui explique ces chiffres et cette dépendance ?

Le Japon entretient historiquement un rapport privilégié avec la technique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses réformes économiques mises en place à l'époque ont installé durablement dans l'esprit des Japonais la nécessité d'une maîtrise des technologies afin de pouvoir soutenir la comparaison avec l'Occident, alors modèle à suivre. De tels chiffres ne sont pas pour autant une spécificité nippone. De nombreux autres pays asiatiques et européens présentent des chiffres similaires. Aujourd'hui les résultats d'une telle enquête sont pourtant à relativiser, surtout lorsque le terme de dépendance est évoqué. Cette dernière demeure fortement instable académiquement, même parmi les professionnels qui la manipulent. D'ailleurs, comment mesure-t-on la dépendance ? Le seul consensus sur ce point semble être le suivant : il n'existe pas à ce jour un nombre prédéfini d'heures au-delà duquel une personne serait automatiquement qualifiée de cyberdépendante. Ce sont plutôt les usages et les comportements individuels qui sont à retenir comme critères valables d'une propension à la dépendance.


2. Et en France, nos jeunes sont-ils à ce même niveau de dépendance et pourquoi ?

En France, quelques enquêtes d'envergure avancent des chiffres - a priori - inquiétants, mais toujours sans vraiment identifier le degré précis de cette dépendance. Et pour cause, les véritables cyberdépendants sont invisibles puisqu'ils ne cherchent pas forcément le contact avec autrui, et encore moins avec un enquêteur désireux de les interroger. Encore une fois, chaque individu construit sa dépendance, en fonction d'une histoire personnelle, d'un vécu, d'une culture familiale, etc. Ce qui semble plus simple à identifier relève de la chronophagie consécutive à la pénétration massive des technologies dans nos pratiques quotidiennes. Sous cet angle, effectivement, plus nous utilisons les techniques (téléphoniques et informatiques) et plus nous prenons le risque d'en dépendre. Mais les jeunes usagers français ne sont pas plus perméables à la dépendance que les autres. L'alarmisme primaire n'est pas une voie à suivre.


3. Cette cyberdépendance peut-elle être comparée à une drogue ? Et quels en sont les symptômes ?

Certains psychologues traitent effectivement des individus cyberdépendants comme ils le feraient avec des personnes sous l'emprise de drogues dites « traditionnelles », avec consommation de produits j'entends. On trouve dans les cas les plus extrêmes, mais fort heureusement assez rares, de véritables états de manque. Irritabilité, stress, colère, isolement et désengagement social, voire mort, sont quelques-uns des effets les plus spectaculaires et fortement relayés par certains médias volontairement pessimistes. Finalement, au regard du nombre total d'usagers des smartphones, des réseaux numériques ou des jeux vidéo, la cyberdépendance ne touche qu'une proportion infime de la population française et mondiale.


4. Cette cyberdépendance est-elle nuisible pour la santé ? Pour l'intégration sociale des jeunes ?

On ne peut pas véritablement parler de caractère nuisible pour la santé. Si ce n'est le manque de sommeil parfois… Il existe toutefois des âges où la cyberdépendance est plus présente. L'adolescence est la période la plus concernée, car pour beaucoup, elle est synonyme de profonds bouleversements, de questionnements multiples, de doutes existentiels, d'angoisses diverses. Se réfugier dans le virtuel de manière prolongée peut alors être perçu comme le moyen d'abandonner une réalité jugée trop contraignante, le temps d'une partie de jeu vidéo par exemple. Pour la plupart des jeunes, les engagements sociaux en devenir (professionnels, universitaires ou amoureux) permettent de décrocher naturellement d'une pratique intensive du numérique. Mais la cyberdépendance reste parfois la réponse à un mal-être pour des personnes plus fragilisées, et ce, quel que soit leur âge.


5. Comment peut-on aider ces jeunes à se sevrer ?

La principale réponse à cette question reste la nécessité de communiquer, encore et toujours. Une dépendance, peu importe sa nature, cyber ou pas, est toujours le constat qu'une personne est en détresse et appelle à l'aide. Parler, discuter, échanger avec cette personne demeure la meilleure attitude à observer pour comprendre pourquoi elle souffre. Ainsi, les parents inquiets doivent parler des jeux vidéo avec leurs enfants, comprendre pourquoi ce loisir leur plaît autant. Il faut créer du lien social intergénérationnel autour de la pratique vidéoludique. Le joueur compulsif de jeux d'argent en ligne doit aussi être écouté, afin de pouvoir exprimer à son entourage sa dépendance, mieux la comprendre et lutter contre. Puis, il faut peut être également réapprendre à vivre loin de la technique, en sortant plus ou en réintégrant la nature au cœur de ses activités par exemple. Ou plus simplement, commencer par arrêter de dormir avec son portable allumé à dix centimètres de son oreille… La cyberdépendance existe essentiellement car elle est une réponse efficace, directe, peu chère et facile d'accès pour les personnes désireuses de couper les ponts avec une réalité trop dure à supporter. Pour les cas les plus graves, plusieurs hôpitaux en France proposent fort heureusement une prise en charge adaptée.