Mark Cuban est l'un des hommes les plus critiques à l'égard du phénomène YouTube. Il est aussi multi-milliardaire, et il exprime son intention de racheter une société basée à Los Angeles, et actuellement en procès avec ce même YouTube. Vous avez dit "vendetta"...'


La pomme de discorde
La compagnie sur laquelle le millardaire américain Mark Cuban (photo) a les yeux rivés se nomme Los Angeles News Service. C'est une entité de petite taille, qui diffuse des programmes télévisés à l'échelon local, sur la mégalopole californienne. Elle a été fondée, et est toujours dirigée, par Robert Tur, célèbre journaliste et aventurier des airs américain, qui a récemment porté plainte contre YouTube, estimant que ce dernier encourageait ouvertement ses habitués à violer les lois régissant la propriété intellectuelle et artistique. Tur avait en effet vu atterrir sur YouTube des images qu'il avait lui-même tournées en 1992 durant les émeutes de Los Angeles, et à sa connaissance, personne ne lui avait demandé la permission de les diffuser de la sorte.

Cuban, propriétaire du club de basket des Dallas Mavericks, et co-fondateur de HDNet, le premier réseau de télévision à émettre uniquement en haute définition, a donc montré son intérêt pour un éventuel rachat de Los Angeles News Service, et les rumeurs vont bon train : pourquoi diable un homme d'affaire aussi avisé, et riche, voudrait-il acquérir une société quasi-anonyme, et à l'audience aussi faible. Mark Cuban mentionne le fait que Los Angeles News Service est la première chaîne de télévision de la région à émettre en qualité haute définition, sa marotte, mais il peine à convaincre : notre homme semble parti en croisade contre YouTube, et il a trouvé dans Los Angeles News Service l'épée qui armera son bras.

Tur et son équipe se sont essayés à la télévision en HD (Haute Définition) dès 1997, mais ses principaux trophées (la couverture des émeutes de Los Angeles, et le chassé-croisé entre le département de la Police de la ville et O.J. Simpson, notamment) n'ont pas été tournés dans ce format. La vidéothèque de la chaîne est donc d'un intérêt limité pour Mark Cuban, et il n'en fallait pas plus pour que certains voient dans ce rachat le début d'une guerre personnelle contre YouTube, ce que l'intéressé dément catégoriquement.


Vieux démons et nouvelles technologies
Dans un passé récent, pourtant—c'était en septembre dernier—Cuban, devant un parterre de publicitaires new-yorkais, avait qualifié d'imbécile quiconque se porterait acquéreur de YouTube, tant il était clair à ses yeux que ce dernier creusait sa propre tombe en proposant des contenus vidéo de façon sauvage. Cuban ne s'est pas fait de nouveaux amis, il y a moins d'un mois, en reproduisant sur son blog des passages d'un autre carnet de bord, dans lesquels il était question des tentatives par Google, futur propriétaire de YouTube, d'acheter le silence de toutes les compagnies audio-visuelles que les pratiques à la hussarde de YouTube avaient pu blesser. Google s'est depuis défendu de telles intentions, et a finalisé son rachat de YouTube pour 125 millions de dollars US de plus que prévu. A titre de provision...'

Les rumeurs vont donc bon train, et l'on prête à Google et à YouTube l'intention de trouver avec les principaux détracteurs de ce dernier un terrain d'entente, moyennant finance, évidemment. En acquérant Los Angeles News Service, Cuban et son organisation auraient accès au dossier, et pourraient se faire leur propre idée, mais officiellement, ce n'est pas la raison de ce rapprochement. Cuban rappelle que par le passé, il s'est toujours placé du côté des firmes accusées de violation des règles sur la propriété intellectuelle et artistique, et qu'il est encore un fervent opposant à la loi dite "du Digital Millenium Copyright", par laquelle l'administration Bush entend rendre impossible toute innovation technologique dans le domaine du multimédia, sauf à obtenir l'assentiment des gros calibres du secteur.

"La question du respect des copyrights m'intéresse depuis longtemps", a dit Cuban dans une interviews par e-mail. "Ceux qui pensent le contraire, ou croient que je suis parti dans une sorte de guerre sainte personnelle, ne me connaissent pas aussi bien qu'ils le pensent." A propos des dirigeants de YouTube, il ajoute : "Je ne les ai jamais rencontré, et je ne leur souhaite que de bonnes choses. Je n'aime ni ne déteste leur travail, et je leur suis même reconnaissant de me laisser utiliser leurs serveurs..."

Robert Tur se montre des plus discrets, lui aussi : interrogé sur les raisons qui pourraient le conduire à renoncer à la direction de l'entreprise qu'il a créée voici près de vingt ans, il répond que Mark Cuban est un gars formidable, et un visionnaire, et qu'il ne souhaite faire aucun commentaire sur les à-côtés de l'affaire. Il rappelle seulement qu'il a été courtisé par d'autres grosses fortunes par le passé, dont quelques concurrents affichés de YouTube. Il a cependant refusé de donner des noms. Pour ce qui est de la brouille entre Los Angeles News Service et YouTube, il semble que ce dernier ait entamé une tentative de rapprochement amiable, assortie de la proposition d'adjoindre aux contenus filmés par Tur et son équipe une sorte de protection juridique. Tur et ses avocats examinent encore ces propositions au moment où sont écrites ces lignes. Ce qui ne les empêche pas d'attaquer sur un autre front : YouTube estime qu'il respecte la loi sur le copyright en se contentant d'héberger certains contenus douteux, ce que contestent ses opposants, rappelant au passage que le site réalise de copieux revenus publicitaires grâce aux vidéos qu'il met à la disposition du public. A leurs yeux, YouTube serait donc complice de ceux qui postent sans autorisation des vidéos protégées, et pourrait à ce titre être poursuivi en justice. C'est d'ailleurs ce que dit explicitement le texte de loi évoqué plus haut.

Comme on peut le voir, l'incident est loin d'être clos, et l'arrivée de Mark Cuban—et de ses milliards—dans la mêlée, pourrait lui faire connaître bien d'autres rebondissements encore.