Pendant près de 30 ans, Steve Ludwin, un musicien américain, a mené une expérience personnelle défiant toute logique et mettant sa vie en jeu quotidiennement. Sa démarche : s'auto-administrer régulièrement des doses de venins de serpents parmi les plus mortels de la planète, comme les mambas et les cobras. Une pratique d'une dangerosité extrême qui aurait dû le tuer maintes fois, mais qui a forgé dans son organisme une résistance hors norme.
Décennies de flirt avec la mort : le pari fou de Steve Ludwin
Survivant à près de 200 morsures directes en plus de ses 700 injections volontaires, Steve Ludwin a poussé son corps dans des retranchements incroyables. Son objectif initial, presque mystique, était de renforcer son système immunitaire. Une quête personnelle totalement déconseillée par la science et relevant plus du défi insensé que d'une expérience contrôlée. Pourtant, ce flirt constant avec le danger mortel des serpents les plus venimeux a eu un effet biologique inattendu qui a fini par attirer l'attention des chercheurs. Comment son corps a-t-il pu supporter de telles agressions répétées de venin ?
Des anticorps 'extraordinaires' découverts dans son sang
Intrigués par cette résistance quasi surhumaine, des scientifiques, notamment une équipe de l'Université de Copenhague en lien avec la société de biotechnologie Ophirex, ont analysé le sang de Steve Ludwin. Leur découverte est spectaculaire : son organisme a produit des anticorps d'une puissance et d'une polyvalence rares. Ces molécules de défense sont capables de neutraliser les toxines non pas d'une seule espèce, mais d'un large éventail de serpents redoutables. Ludwin lui-même aurait qualifié ses anticorps d'extraordinaires, et la recherche médicale semble lui donner raison. Ces anticorps uniques constituent une bibliothèque précieuse pour la science.
Les scientifiques ont ainsi pu tester ces anticorps en le mélangeant à une molécule, le varespladib, sur des souris de laboratoire. L'antidote ainsi proposé a été capable de protéger les cobayes de la morsure de 13 espèces de serpents différents, mais également protégé à hauteur de 20 à 40% des dégâts causés par six autres venins.
Vers un antivenin à large spectre : un espoir pour des millions
L'enjeu est de taille. Chaque année, des millions de personnes sont mordues par des serpents, entraînant des centaines de milliers de décès ou d'invalidités, surtout dans les pays en développement. Les antivenins actuels sont souvent spécifiques à une espèce, coûteux, difficiles à conserver et peuvent provoquer des réactions allergiques. Ils impliquent également que la victime de morsure ait parfaitement identifié le serpent à l'origine de l'injection de venin. L'espoir suscité par les anticorps de Ludwin est donc immense : développer un antivenin dit "à large spectre". Il s'agirait d'un traitement de nouvelle génération, potentiellement efficace contre les morsures de nombreuses espèces différentes, plus sûr (car basé sur des anticorps humains ou synthétisés en laboratoire) et plus facile d'accès. La société Ophirex travaille sur ce projet révolutionnaire pour la santé publique mondiale, même si le chemin vers un produit commercialisable nécessite encore des étapes de développement et des essais cliniques.