Plus qu'un simple continent de glace, l'Antarctique est une véritable machine à remonter le temps. Ses couches de glace successives agissent comme des archives, conservant des informations précieuses sur l'atmosphère terrestre passée.

Jusqu'à présent, les enregistrements les plus détaillés ne dépassaient pas les 800 000 ans. Une nouvelle découverte vient de pulvériser ce record, offrant un aperçu direct d'une période charnière de l'histoire de notre planète.

Une découverte qui repousse les limites du temps

Une équipe de chercheurs américains, œuvrant sous la bannière du Center for Oldest Ice Exploration (COLDEX), a extrait des carottes de glace exceptionnelles dans la région des Allan Hills, en Antarctique de l'Est.

Credit : COLDEX

L'analyse a confirmé leur âge stupéfiant : six millions d'années. Cette avancée, menée par des scientifiques de la Woods Hole Oceanographic Institution et de l'Université de Princeton, dépasse de loin les espoirs initiaux du projet qui visait une glace d'environ trois millions d'années.

Pour Ed Brook, directeur de COLDEX et paléoclimatologue à l'Oregon State University, il s'agit de la découverte la plus significative pour le centre de recherche. Ces échantillons, bien que non continus, constituent une bibliothèque "d'instantanés climatiques" près de six fois plus anciens que toutes les données de carottes glaciaires obtenues auparavant.

Le secret des glaces de surface d'Allan Hills

Contrairement aux forages traditionnels qui s'enfoncent à plus de 2 000 mètres de profondeur, cette glace ancienne a été trouvée à seulement 100 ou 200 mètres de la surface.

Le secret réside dans la géographie unique de la région des Allan Hills. La topographie montagneuse et des vents catabatiques puissants font lentement remonter les couches de glace les plus profondes et les plus anciennes vers la surface, tout en balayant la neige nouvelle qui pourrait les recouvrir.

Credit : COLDEX

Cette combinaison de froid extrême, de vents violents et d'un mouvement quasi nul de la glace préserve ces trésors préhistoriques. Pour dater précisément ces échantillons, les scientifiques ont utilisé une technique directe et fiable : la mesure d'un isotope de l'argon, un gaz noble piégé dans les bulles d'air. Cette méthode permet de déterminer l'âge de la glace elle-même, sans dépendre d'indices externes comme des cendres volcaniques.

Un refroidissement progressif et des questions pour l'avenir

Les premières analyses de ces morceaux d'histoire ancienne sont déjà riches d'enseignements. En mesurant les isotopes d'oxygène présents dans la glace, les chercheurs ont pu effectuer la première mesure directe du changement de température sur cette immense période.

Le résultat est sans appel : l'Antarctique de l'Est a connu un refroidissement graduel d'environ 12°C au cours des six derniers millions d'années, passant d'un environnement tempéré au continent gelé que nous connaissons.

La prochaine étape consistera à analyser en détail les gaz à effet de serre contenus dans ces bulles d'air ancestrales. Ces données permettront de mieux comprendre les liens entre les niveaux de dioxyde de carbone, la chaleur des océans et les cycles climatiques naturels, bien avant que l'activité humaine ne commence à influencer l'équation.

L'équipe de COLDEX prévoit déjà de retourner sur le terrain entre 2026 et 2031, avec l'espoir de trouver des archives encore plus anciennes et de compléter ce puzzle climatique fascinant.