Des physiciens de l'Université de Londres suggèrent que la gravité pourrait intriquer des particules même si le champ gravitationnel reste classique.
Cette découverte, si elle est confirmée, complique la quête de la gravité quantique, car elle remet en question l'un des tests expérimentaux proposés pour la prouver.
Le grand défi de la gravité quantique
Depuis un siècle, la physique fait face à une contradiction majeure. La mécanique quantique régit l'infiniment petit, tandis que la relativité générale d'Einstein décrit la gravité comme une courbure de l'espace-temps à grande échelle.
Les unifier en une théorie de la "gravité quantique" reste le Saint Graal. Le problème est que traiter la gravité comme les autres forces (en la "quantisant") mène à des infinis mathématiques insolubles.
L'expérience de pensée de Feynman revisitée
Pour tester si la gravité est quantique, l'idée d'une expérience a émergé. Elle se base sur une proposition du célèbre physicien Richard Feynman dans les années 1950.
L'idée moderne : placer deux masses en superposition quantique (existant à deux endroits à la fois). Si ces particules s'intriquent (leurs états devenant liés instantanément quelle que soit la distance) par la gravité, cela prouverait que la gravité elle-même est quantique. L'interaction passerait alors par des gravitons virtuels.
La nouvelle hypothèse : l'intrication sans gravitons ?
C'est ici que l'étude de Joseph Aziz et Richard Howl, de la Royal Holloway University de Londres, intervient. Ils avancent que l'intrication pourrait survenir même si le champ gravitationnel reste classique, tel que décrit par Einstein.
Selon leur théorie, publiée dans la revue Nature, l'interaction gravitationnelle pourrait être plus générale qu'on ne le pense. L'intrication ne serait pas médiée par des gravitons virtuels, mais par des "processus de matière virtuelle" (comme des atomes virtuels) interagissant avec ce champ classique.
Une controverse qui stimule la recherche
Cette interprétation est loin de faire l'unanimité dans la communauté scientifique. Chiara Marletto d'Oxford, l'une des architectes des tests expérimentaux modernes, conteste vivement ces résultats.
Elle soutient qu'aucune théorie classique locale ne peut médier l'intrication. Selon elle, l'étude de Howl et Aziz montre en fait des interactions non-locales directes entre les sondes quantiques, un mécanisme qui n'est pas nouveau.
Heureusement, les deux modèles (quantique vs classique) ne prédisent pas la même chose. Howl et Aziz calculent que l'effet d'intrication "classique" serait beaucoup plus faible que l'effet quantique. C'est paradoxalement une bonne nouvelle.
Si les futures expériences, qui s'annoncent incroyablement complexes à réaliser à cause de la décohérence, détectent une intrication forte, la piste de la gravité quantique sera confirmée et celle de l'effet classique écartée.
Quoi qu'il en soit, ce débat théorique renforce l'urgence de réaliser ces expériences. Tous les physiciens s'accordent sur un point : la détection d'une intrication gravitationnelle, quelle que soit son origine, marquera un tournant majeur pour la physique. Un résultat attendu, peut-être, au cours de la prochaine décennie.