La consommation électrique galopante des data centers, propulsée par l'intelligence artificielle, n'est pas correctement prise en compte dans les scénarios de transition énergétique.

Cette croissance explosive menace les objectifs climatiques et pourrait forcer un retour aux énergies fossiles, créant des conflits d'usage avec des secteurs clés dont la décarbonation dépend de l'électrification.

Loin de l'image immatérielle souvent associée au numérique, l'essor de l'intelligence artificielle repose sur des infrastructures physiques colossales et énergivores. Les centres de données, ou data centers, en sont la pierre angulaire.

Leur multiplication, accélérée par la demande insatiable de l'IA générative, soulève une question cruciale mise en lumière par un récent rapport du think tank The Shift Project : notre appétit pour les données est-il compatible avec un avenir décarboné ?

Une trajectoire énergétique hors de contrôle ?

Les chiffres présentés dressent un portrait inquiétant. L'actuelle empreinte carbone du numérique, qui représentait déjà près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2020, est sur une pente ascendante.

Les projections estiment que les émissions directes de la filière data center pourraient augmenter de 9 % par an, pour atteindre jusqu'à 920 millions de tonnes d'équivalent CO2 d'ici cinq ans, soit le double des émissions actuelles de la France.

Cette dynamique place le secteur en porte-à-faux total avec les objectifs de neutralité carbone, qui exigeraient au contraire une baisse de 5 % par an. Le problème fondamental est que cette explosion de la demande électrique n'est absolument pas intégrée dans les scénarios de transition énergétique actuels, ni en France, ni au niveau européen.

L'Irlande, un avertissement sans frais pour l'Europe

Pour comprendre les conséquences concrètes d'une croissance non maîtrisée, il suffit de se tourner vers l'Irlande. Le modèle irlandais, avec sa politique fiscale attractive, a attiré massivement les géants de la tech. Résultat : la part des data centers dans la consommation électrique du pays est passée de 5 % en 2015 à près de 20 % en 2022, mettant le réseau électrique sous une tension insoutenable.

Face à l'incapacité de fournir assez d'électricité pour tous, des projets immobiliers ont été stoppés et un moratoire a été décrété sur la connexion de nouveaux centres autour de Dublin.

Mais les opérateurs ont trouvé une parade alarmante : se raccorder directement au réseau de gaz pour alimenter leurs propres centrales à gaz dédiées. Ce contournement marque un retour en arrière dramatique vers les énergies fossiles, anéantissant les efforts de décarbonation.

Des conflits d'usage inévitables en France ?

Ce scénario pourrait se reproduire ailleurs. La France, qui ambitionne d'attirer 109 milliards d'euros d'investissements pour de nouveaux data centers, verrait leur part dans la consommation électrique nationale passer de 2 % aujourd'hui à 7,5 % en 2035. Ces investissements massifs, s'ils se concrétisent sans une planification rigoureuse, créeront inévitablement des conflits d'usage.

Cette nouvelle demande entrera en compétition directe avec des secteurs dont la décarbonation repose entièrement sur l'électrification, comme les transports ou le chauffage. La pression sera particulièrement forte sur les réseaux locaux de régions déjà très sollicitées, comme l'Île-de-France et Marseille. L'équation est complexe : comment soutenir l'innovation numérique sans sacrifier les piliers de notre transition écologique ?

La question n'est plus de savoir si l'IA aura un coût énergétique, mais plutôt de décider comment le maîtriser. L'enjeu est de planifier et d'intégrer la filière des centres de données dans une stratégie bas-carbone globale. Sans anticipation, la promesse d'un futur numérique intelligent pourrait se heurter à l'implacable réalité d'une crise climatique et énergétique aggravée.