Une analyse conjointe des expériences NOvA aux États-Unis et T2K au Japon offre la vision la plus précise jamais obtenue sur l'oscillation des neutrinos, ces particules qui changent d'identité en voyageant.

Cette avancée, publiée dans la revue Nature, rapproche la communauté scientifique de la compréhension de l'asymétrie matière-antimatière, l'un des plus grands mystères de la cosmologie.

Les neutrinos sont parmi les particules les plus énigmatiques et abondantes de l'univers. Surnommées "particules fantômes" en raison de leur capacité à traverser la matière presque sans aucune interaction, elles nous bombardent par milliards à chaque seconde.

Pourtant, leur comportement recèle potentiellement la clé de questions fondamentales, notamment pourquoi notre cosmos est aujourd'hui dominé par la matière plutôt que par l'antimatière.

Le ballet quantique des "saveurs" de neutrinos

La particularité fascinante des neutrinos réside dans leur capacité à osciller, c'est-à-dire à changer d'identité ou de "saveur" (électron, muon, et tau) au cours de leur propagation.

Zoya Vallari, professeure à l'Université d'État de l'Ohio et membre éminente de cette recherche, illustre ce phénomène quantique avec une analogie parlante : "Imaginez prendre une glace au chocolat, marcher dans la rue, et qu'elle se transforme soudainement en menthe, changeant à nouveau à chaque pas."

Fermilab Caltech experimentation neutrinos

Détecteur de neutrinos du Fermilab

Cette métamorphose constante, dictée par de subtiles différences de masse, est au cœur des investigations actuelles pour sonder les lois fondamentales de la physique.

Une alliance transpacifique pour une vision unifiée

Pour traquer ces transformations fugaces, deux expériences majeures ont donc uni leurs forces : NOvA aux États-Unis et T2K au Japon. La première envoie un faisceau de neutrinos depuis le Fermilab, près de Chicago, jusqu'à un détecteur dans le Minnesota.

Fermilab detecteur neutrino Nova

La seconde projette son propre faisceau depuis la côte est du Japon vers un détecteur enfoui dans les montagnes de l'ouest du pays. Bien que leurs objectifs soient similaires, leurs conceptions diffèrent en termes d'énergie des particules et de distance parcourue.

C'est cette complémentarité qui s'est avérée décisive, car en combinant leurs données, les scientifiques ont pu obtenir une image bien plus riche et précise que la somme de leurs parties.

La quête de l'asymétrie : le chaînon manquant cosmique

L'un des enjeux majeurs de cette analyse conjointe est de déceler une éventuelle violation de la symétrie Charge-Parité (CP). En termes simples, il s'agit de vérifier si les neutrinos et leurs anti-particules, les antineutrinos, se comportent de manière parfaitement symétrique lorsqu'ils oscillent.

Si une telle asymétrie était confirmée, elle fournirait une piste solide pour expliquer pourquoi la matière a pris le dessus sur l'antimatière aux premiers instants de l'univers, au lieu d'une annihilation mutuelle qui n'aurait laissé derrière elle qu'un cosmos empli de lumière.

Cette coopération inédite, soulignée par John Beacom, professeur de physique à Ohio State, est une preuve des enjeux colossaux : "Les collaborations comme celles-ci sont généralement en compétition, donc le fait qu'elles coopèrent ici montre à quel point les enjeux sont élevés."

Vers une nouvelle génération de détecteurs

Malgré la précision record de ces résultats, le verdict sur la violation de la symétrie CP n'est pas encore définitif. "Nos résultats montrent que nous avons besoin de plus de données pour pouvoir répondre de manière significative à ces questions fondamentales", admet Zoya Vallari.

Le regard est désormais tourné vers la prochaine génération d'expériences, comme DUNE aux États-Unis et Hyper-Kamiokande au Japon, qui promettent une sensibilité encore accrue.