Un projet scientifique jugé "controversé" mais potentiellement révolutionnaire vient de démarrer avec un financement initial de 10 millions de livres sterling du Wellcome Trust, la plus grande organisation caritative médicale au monde. Ce travail, qui vise à créer les "blocs de construction" de l'ADN humain à partir de zéro, est une première mondiale. Lancée à l'occasion du 25ème anniversaire de l'achèvement du Projet Génome Humain, cette initiative ouvre des perspectives immenses pour le traitement de maladies incurables, mais soulève simultanément de profondes questions éthiques quant à l'altération de la vie humaine et les risques d'une utilisation abusive de cette technologie sans précédent.

Pourquoi créer de l'ADN humain à partir de zéro est-il une avancée majeure ?

Chaque cellule de notre corps contient de l'ADN, le plan génétique de ce que nous sommes. L'ADN est construit à partir de quatre blocs élémentaires (A, G, C, T) répétés en d'innombrables combinaisons. Il y a 25 ans, le Projet Génome Humain a permis aux scientifiques de "lire" l'intégralité de ce code. Aujourd'hui, un nouveau pas de géant est franchi : le projet SynHG (Synthetic Human Genome Project) ne veut plus seulement lire, mais "écrire" l'ADN. L'objectif initial est de développer les outils pour construire des sections de plus en plus grandes d'ADN synthétique, jusqu'à créer un chromosome humain entier en laboratoire. Ce contrôle sans précédent sur la matière génétique va permettre aux chercheurs d'étudier et d'expérimenter sur l'ADN d'une manière impossible auparavant, ouvrant des voies inédites pour comprendre comment les gènes fonctionnent et pourquoi ils peuvent dérégler notre corps. C'est une révolution qui pourrait mener à des traitements bien plus efficaces pour l'humanité.

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Quels bénéfices médicaux espère-t-on tirer de l'ADN artificiel ?

Les ambitions médicales de ce projet sont immenses. Dr Julian Sale, membre de l'équipe de Cambridge, parle de "thérapies qui amélioreront la vie des gens à mesure qu'ils vieillissent", menant à un "vieillissement plus sain avec moins de maladies". L'idée est de générer des cellules résistantes aux maladies, utilisables pour "repeupler des organes endommagés", comme le foie, le cœur ou même le système immunitaire. Selon le Professeur Matthew Hurles, directeur du Wellcome Sanger Institute, les informations obtenues par la synthèse de génomes humains pourraient être "directement utiles pour générer des traitements pour presque toutes les maladies". La capacité de construire l'ADN à partir de zéro permet de "tester comment l'ADN fonctionne réellement et de tester de nouvelles théories", ce qui n'est possible actuellement qu'en modifiant l'ADN déjà existant. Une des possibilités mentionnées est la création de mitochondries synthétiques pour prévenir la transmission de maladies mitochondriales, offrant ainsi de nouvelles thérapies géniques prometteuses sans avoir besoin d'un donneur.

ADN-sequençage

Quelles sont les craintes soulevées par un tel contrôle sur le génome humain ?

Malgré ses promesses, le projet soulève de vives inquiétudes et un débat éthique majeur. Les critiques craignent que cette technologie n'ouvre la voie à des chercheurs "sans scrupules" qui chercheraient à créer des humains "améliorés" ou modifiés. Dr Pat Thomas, de l'organisation Beyond GM, avertit : "la science peut être réorientée pour faire du mal et pour la guerre". Le Professeur Bill Earnshaw, un généticien respecté, est plus direct : "Le génie est sorti de la bouteille". Il évoque la possibilité de créer des armes biologiques, des créatures hybrides avec de l'ADN humain, ou des "bébés sur mesure". La capacité de synthétiser n'importe quel génome, si elle tombe entre de mauvaises mains, pourrait devenir incontrôlable, même avec des restrictions en place. Des questions sur la commercialisation et la propriété de "parties du corps synthétiques ou même de personnes synthétiques" sont également soulevées par Mme Thomas, ajoutant à la complexité des défis éthiques que la science doit affronter.

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Comment les chercheurs comptent-ils gérer les questions éthiques ?

La question du financement d'un projet aussi potentiellement risqué par le Wellcome Trust n'a pas été prise à la légère. Dr Tom Collins, qui a donné son feu vert, explique la logique : "Nous nous sommes demandé quel était le coût de l'inaction". Selon lui, cette technologie sera développée un jour ou l'autre, et il est préférable de le faire maintenant "de la manière la plus responsable possible et de confronter les questions éthiques et morales de la manière la plus directe possible". C'est pourquoi un programme de sciences sociales dédié sera mené en parallèle du développement scientifique. Dirigé par la sociologue Professeur Joy Zhang de l'Université du Kent, ce programme vise à recueillir les points de vue des experts, des scientifiques sociaux et surtout du public. L'objectif est de comprendre comment la société perçoit cette technologie, quels en sont les bénéfices potentiels et, surtout, quelles sont leurs interrogations et leurs préoccupations en matière de bioéthique. Cette approche proactive cherche à anticiper les dérives et à encadrer l'innovation par une réflexion sociétale profonde.

FAQ

  • Quelle est la différence entre lire et créer de l'ADN ?


    Lire l'ADN (comme le Projet Génome Humain) consiste à déchiffrer la séquence des "lettres" génétiques (A, G, C, T) déjà existantes. Créer de l'ADN, c'est construire cette séquence de toutes pièces, molécule par molécule, sans modèle préexistant.
  • Qu'est-ce que le projet SynHG ?


    Le projet SynHG (Synthetic Human Genome Project) est une initiative financée par le Wellcome Trust qui vise à développer les outils et les connaissances nécessaires pour construire de longues sections de matériel génétique humain, voire des chromosomes entiers, en laboratoire.
  • Les scientifiques vont-ils créer de la vie synthétique ?


    Non, les chercheurs ont clairement affirmé que leurs travaux se confineront à des éprouvettes et des boîtes de Pétri. Il n'y aura aucune tentative de créer de la vie synthétique ou des organismes complets dans le cadre de ce projet. L'objectif est de comprendre le fonctionnement de l'ADN pour des applications médicales.