L’industrie automobile française fait face à un défi existentiel. Secteur clé de l’économie nationale, elle subit une série de bouleversements majeurs qui mettent en danger des centaines de milliers d’emplois.

Tandis que le Sénat pointe « un crash programmé » et compare la situation à celle de la sidérurgie ou du textile, les nuages s'accumulent au-dessus du secteur malgré les efforts pour la transition électrique.

Une filière stratégique fragilisée

Le constat est sans appel : la désindustrialisation frappe durement la filière automobile tricolore. Selon le rapport sénatorial, « la colonne vertébrale de l’industrie en France » vacille sous le poids de la délocalisation et d’une concurrence internationale exacerbée.

En trente ans, le nombre d’usines a été divisé par deux, ne laissant que 800 000 emplois, dont près de la moitié menacés. « On va vers un crash si rien n’est fait », prévient Alain Cadec, sénateur LR, qui n’hésite pas à évoquer le spectre de la sidérurgie pour illustrer la gravité du moment.

R5 électrique

Entre 2000 et 2024, la part de la France dans la production automobile européenne a perdu 12 points, et la production nationale est aujourd’hui deux fois inférieure à celle de 2019, avec seulement 1 million de véhicules fabriqués l’an passé.

La filière perd en compétitivité et voit son poids social diminuer tandis que les constructeurs français privilégient les hauts de gamme, alors que le marché demande des modèles abordables.

La hausse de 24% des prix des voitures depuis le Covid aggrave la situation pour les ménages tandis que les usines ferment face à la baisse de la demande, comme chez Stellantis.

2035 : un horizon qui cristallise les tensions

Le tournant de la transition énergétique se concentre sur une date symbolique : l’interdiction de vente des véhicules thermiques neufs en 2035. Les sénateurs jugent l’échéance « suicidaire » pour un secteur déjà malmené, et réclament plus de souplesse dans le calendrier.

« Mais la mort de l’industrie automobile n’est pas une fatalité », assure Rémi Cardon, corapporteur du rapport, qui insiste sur la nécessité d’organiser une transition réaliste. Le délai des dix prochaines années est considéré comme décisif pour adapter le secteur, sans opposer thermique et électrique.

Stellantis Factorial batterie solide

Plusieurs problèmes sont mis en évidence : la décarbonation est devenue enjeu central, mais fragilise les constructeurs européens. Les investissements pour l’électrique sont jugés colossaux alors même que le marché se contracte.

Le Sénat propose notamment l’imposition d’un minimum de 80% de contenu local dans les véhicules vendus en Europe, dont 40% hors batteries, afin de renforcer la souveraineté industrielle. Cette mesure est soutenue au niveau européen et vise à éviter de transformer l’Europe en simple consommatrice.

Concurrence chinoise et dépendance industrielle

Autre menace majeure : la concurrence de la Chine. Premier producteur et exportateur mondial de véhicules électriques, la Chine a vu ses exportations quadrupler en deux ans grâce à une stratégie industrielle ambitieuse et des subventions massives.

BYD Seal U hybride

Les véhicules chinois, affichés environ 30% moins chers que leurs concurrents européens, s’imposent sur le marché, aggravant la pression sur la filière française. Les sénateurs plaident pour l’instauration de droits de douane « massifs et temporaires » sur les véhicules importés, au moins équivalents à ceux pratiqués par Pékin.

Des mesures d’urgence pour sauver la filière

Face à la gravité de la situation, le rapport du Sénat formule une vingtaine de recommandations structurantes, avec un objectif : éviter « une hécatombe sociale sans précédent ».

Ces propositions s’articulent autour du renforcement de la recherche et du développement, du soutien aux « gigafactories » de batteries, du fléchage des aides publiques vers la production locale, et de l’investissement dans les logiciels embarqués.

Un ecoscore européen harmonisé, la création d’un diagnostic batterie certifié et l’extension du leasing social au niveau européen sont également avancés pour rendre les voitures accessibles à la classe moyenne. « Il faut débrider le leasing social », affirme le Sénat, qui souhaite voir le marché des petits modèles électriques abordables s’élargir.

Une reconquête industrielle, condition de survie

Les sénateurs insistent, il ne s’agit nullement d’opposer thermique et électrique, mais de « laisser du temps à l’industrie pour s’adapter ». Une reconquête industrielle doit viser la relocalisation des chaînes de valeur et la production locale de composants essentiels.

En filigrane, c’est toute la stratégie industrielle française qui doit être revue pour préserver les emplois et permettre un redressement de la filière. La solution passera par l’équilibre entre transition écologique et sauvegarde du tissu industriel, dans une démarche pragmatique et protectrice.