L'affaire avait éclaté au grand jour en 2020. Des témoignages glaçants, diffusés sur les réseaux sociaux par des employés actuels et passés, avaient révélé une culture d'entreprise pour le moins toxique chez l'éditeur des célèbres Far Cry et Assassin's Creed. Des incidents de harcèlement, d'intimidation, qui se seraient déroulés sur des décennies. Une enquête interne de l'époque avait tiré la sonnette d'alarme : sur 14 000 employés, un quart avait été témoin ou victime de comportements inappropriés, et 20% ne se sentaient tout simplement pas en sécurité. Résultat ? Des démissions en cascade, des licenciements (dont celui de Francois), et même des arrestations en 2023. Ce procès, qui vient de rendre son verdict, est sans aucun doute un point de bascule pour le secteur.
Qui sont ces ex-cadres condamnés et quels sont les agissements qui leur sont reprochés ?
Le tribunal de Bobigny, aux portes de Paris, a tranché. Tommy Francois, 52 ans, ancien vice-président éditorial, a été jugé coupable de harcèlement sexuel, de harcèlement psychologique et même de tentative d'agression sexuelle. La sentence : trois ans de prison avec sursis et une amende de 30 000 euros. Les faits sont accablants : il aurait tenté d'embrasser de force une employée lors d'une fête de Noël, tandis que des collègues la retenaient. On lui a aussi reproché d'avoir ligoté une salariée à une chaise, puis de l'avoir poussée dans un ascenseur, ou d'avoir contraint une femme en jupe à faire le poirier. Quant à Serge Hascoët, 59 ans, l'ancien directeur créatif et numéro deux d'Ubisoft, il écope de 18 mois avec sursis et 45 000 euros d'amende pour harcèlement psychologique et complicité de harcèlement sexuel. Son rôle ? Avoir favorisé un climat délétère et tenu des propos dégradants. Enfin, Guillaume Patrux, 41 ans, ancien directeur de jeu, a été reconnu coupable de harcèlement psychologique, avec 12 mois de sursis et 10 000 euros d'amende, pour des comportements violents : menaces, jets d'objets... Ces condamnations mettent en lumière la gravité inacceptable des actes commis dans ce que d'ex-employés surnommaient "le club des garçons au-dessus des lois". Il était d'ailleurs mentionné, dans les rapports initiaux, des agissements en toute impunité de certains cadres, visiblement couverts par la direction, ce qui avait poussé Yves Guillemot à prendre la parole, menant à un discours mêlant langue de bois et larges esquives du sujet principal.
La "culture de la blague" : un alibi pour justifier l'injustifiable ?
Durant le procès, Tommy Francois a tenté de minimiser ses actes, les attribuant à une prétendue "culture de la blague" qui, selon lui, était "partout, dans chaque département" d'Ubisoft, et qu'il ne jugeait pas "anormale". Une tentative de défense qui en dit long sur le sentiment d'impunité et l'environnement permissif qui auraient régné. Le procureur, Antoine Haushalter, a d'ailleurs qualifié de "systémique" le sexisme au sein de cette sous-culture du jeu vidéo, voyant dans ce procès un "tournant" majeur. Les récits des victimes ont dépeint des bureaux où la peur était palpable, où les femmes se sentaient réduites à de simples objets. Le fait qu'Hascoët soit accusé d'avoir créé un environnement propice aux agissements de son protégé Thomas Francois renforce l'idée qu'une défaillance managériale profonde a pu servir de terreau à ces dérives. Cela pose une question fondamentale : jusqu'où va la responsabilité des dirigeants dans l'instauration d'un environnement de travail respectueux ? Les responsabilités individuelles et les lacunes systémiques d'une gestion laxiste semblent ici indissociables, quid ainsi de la responsabilité des dirigeants situés plus haut dans la hiérarchie, jusqu'au patron d'Ubisoft, qui était informé des dysfonctionnements ?
Quel message ces condamnations envoient-elles à l'ensemble de l'industrie ?
Le verdict du tribunal est un véritable électrochoc. Pas seulement pour Ubisoft, mais pour l'intégralité du secteur du jeu vidéo. Maude Beckers, l'avocate des plaignantes, a salué une "très bonne décision" aux répercussions futures, insistant sur le fait que les managers de la "gestion toxique" devront désormais rendre des comptes, et que les employeurs ne pourront plus fermer les yeux. Ces condamnations pourraient entrainer un changement des mentalités et des attentes concernant le respect au travail. Elles rappellent, de manière cinglante, que, même dans une industrie qui aime se parer d'une image "cool" ou "particulière", la loi s'applique sans exception. Les comportements abusifs ne sauraient rester impunis. C'est un pas immense vers des environnements de travail plus sûrs et équitables, potentiellement le catalyseur de transformations profondes dans la manière dont les entreprises gèrent le bien-être et la dignité de leurs équipes. C'est en somme un appel à une plus grande responsabilité d'entreprise, qui pourrait redéfinir les standards éthiques de toute l'industrie du divertissement numérique. Reste que le secteur du jeu vidéo est trop souvent concerné par ces environnements à haute pression qui multiplient les débordements de comportements, combinés aux techniques de crunch qui poussent à bout les salariés.
Foire Aux Questions (FAQ)
Quand l'affaire de harcèlement chez Ubisoft a-t-elle été révélée ?
L'affaire a éclaté au grand jour en juin 2020, dans le sillage du mouvement #MeToo, suite à de nombreux témoignages d'employés publiés sur les réseaux sociaux.
Quelles sont les peines prononcées contre les anciens dirigeants d'Ubisoft ?
Les trois anciens dirigeants ont reçu des peines de prison avec sursis et des amendes : Tommy Francois (3 ans avec sursis, 30 000 €), Serge Hascoët (18 mois avec sursis, 45 000 €) et Guillaume Patrux (12 mois avec sursis, 10 000 €).
Ubisoft a-t-il pris des mesures après les premières accusations ?
Oui, suite aux accusations initiales, plusieurs dirigeants d'Ubisoft ont démissionné ou ont été licenciés. L'entreprise a également lancé une enquête interne pour faire la lumière sur la situation.