Les consommateurs chinois commencent à expérimenter les délices du capitalisme, après des décennies de rhétorique communiste sur ses méfaits.


"N'ayons l'air de rien..."
La scène se passe à Guang-jou, l'une des grandes agglomérations du sud de la Chine : 500 personnes qui ne se connaissent pas se rassemblent devant la porte d'un grand magasin d'électronique, le 16 juin à précisément 4 heures de l'après-midi, et en ressortent quelques minutes plus tard les mains chargées d'appareils sur lesquels ils ont obtenu jusqu'à 30% de rabais, parce qu'ils ont acheté en groupe. C'est la réinterprétation moderne, et lucrative, du "flashmob" (rassemblement "spontané") que nous avons déjà eu l'occasion de mentionner dans nos colonnes, souvent pour d'autres raisons.

Car le Tuangou, ou achat en groupe, est devenu la coqueluche du consommateur chinois. Il trouve son origine dans les conversations entre internautes, sur les forums ; de nombreux intervenants s'y plaignaient de la hausse des prix des appareils ménagers ou électroniques, peu en accord avec leurs modestes revenus. Quelqu'un a alors émis l'idée que des remises seraient peut-être pratiquées si de grandes quantités de produits étaient achetées en même temps. Le phénomène était lancé. Des sites spécialisés se sont même créés, à l'image de Teambuy, ou de 51Tuangou, qui ont vu le jour il y a seulement quelques mois, et croulent déjà sous les demandes de connexion.

Protéger le consommateur... contre lui-même '
Cette nouvelle méthode de consommation permet en outre de se garantir contre l'achat de... contre-façons ! En pratiquant leurs emplettes de manière isolée, les consommateurs ne sont jamais certains de ne pas se voir proposer des produits, certes en rapport avec leur budget, mais de mauvaise qualité, et le plus souvent de pâles imitations des objets dont ils rêvent. Grâce au Tuangou, ils peuvent, pour la même somme, acquérir des articles de qualité supérieure. On ne compte plus les jeunes mariés qui s'approvisionnent ainsi, même si certains commerçants font un peu contre mauvaise fortune bon coeur : il est difficile de refuser de vendre à plusieurs centaines de personnes motivées, même si l'on doit pour cela consentir de substantiels rabais. Chacun semble en tout cas y trouver son compte.

Certaines enseignes du luxe, comme LVMH, très présent en Chine, insistent sur une politique tarifaire stricte, mais dans les faits, elles succombent elles aussi bien souvent au chant des sirènes. Parfois, même, un magasin "pris d'assaut" va jusqu'à fermer ses portes, l'espace de quelques minutes, à ses consommateurs isolés, de manière à mieux gérer l'afflux de consommateurs groupés. Un cadeau est même offert à ces derniers lorsqu'ils quittent les lieux.


La liberté est-elle au fond du caddie...'
Le marchandage, vieille pratique--pour ne pas dire tradition--chinoise en matière de commerce, trouve ici une extension inattendue, mais pas si surprenante : le consommateur et citoyen chinois se satisfait de moins en moins de la politique du "je ne veux voir qu'une tête" qui a prévalu (et prévaut encore) pendant des décennies dans son pays. Son émancipation pourrait bien commencer dans les rayons des grands magasins...