Tribune libre par Florian Brochard

La distribution de la presse est un secteur particulièrement concerné. L'entreprise Presstalis en sait quelque chose. 

Cela peut surprendre, mais « toutes les entreprises françaises ne semblent pas encore avoir pris le pas de la révolution digitale ». C’est le constat que dresse Manageo, plateforme de marketing prédictif. Dans le cadre de son « Observatoire de la digitalisation des entreprises françaises », le spécialiste de la data B2B dévoile des chiffres « éloquents » sur la digitalisation de la France. 

Ainsi, « seules 19 % des entreprises possèdent un site internet », selon Manageo. C’est peu, surtout lorsque l’on considère que les entreprises possédant une vitrine numérique « se montrent plus compétitives avec une rentabilité 13 % supérieure aux autres, un résultat d’exploitation par salarié 25 % plus élevé et un chiffre d’affaires par salarié supérieur de 10 % ». 

De son côté, la 10e édition du Baromètre RH, réalisée par l’éditeur Bodet Software en partenariat avec l’Université Catholique de l’Ouest, révèle que « 36,1 % des entreprises envisagent de digitaliser l’évaluation des compétences d’ici 5 ans, suivie de près par la formation (32,5 %) ». Pour les personnes interrogées dans le cadre du baromètre, la digitalisation RH présente deux avantages principaux : le gain de temps (28,8 % des répondants) et un meilleur partage des informations (28,1 %). 

Le secteur de la distribution de la presse est particulièrement impacté par la digitalisation, et ce alors que 1 000 marchands de journaux ferment chaque année en France.


Un tournant digital pour échapper au dépôt de bilan
Le cas Presstalis permet de prendre la mesure de la crise qui secoue le secteur de la distribution de la presse. Confrontée à des déficits d’exploitation durables dès les années 1980, puis à l’apparition des journaux gratuits et l’érosion des points de vente dans les années 2000, le déficit net des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) est estimé en 2007 à 29 millions d’euros, pour un déficit d’exploitation de 11 millions d’euros.

Les NMPP se réorganisent en 2009 et donnent naissance à Presstalis. Alors en grande difficulté, l’entreprise met en place en 2012 un plan de restructuration, prévoyant la suppression de 1 250 postes sur un total de 2 500 salariés.

Mais les difficultés de Presstalis n’ont pas toujours été d’ordre financier. Il faut dire que l’entreprise traîne derrière elle une lourde réputation. De nombreux blocages syndicaux en sont responsables, mais pas seulement. Comme le révèle en 2007 le journaliste Emmanuel Schwartzenberg, dans son livre « Spéciale dernière : Qui veut la mort de la presse quotidienne française ? », la CGT du Livre détournait, jusqu’au milieu des années 1980, jusqu’à 5% du papier destiné aux quotidiens nationaux pour les envoyer à la presse cubaine !…

Plus troublant, certains cadres proches de Presstalis ont aussi investi dans des sociétés roumaines, peu transparentes. Alain Jean Lenaud par exemple, est un ex-cadre dirigeant de l’entreprise Geodis, partenaire logistique du groupe Presstalis. Il s’est associé avec Jean-Michel Floret, ex-secrétaire du Syndicat général du livre et des industries connexes CGT ayant eu souvent maille à partir avec Presstalis, dans le conseil et le développement d’affaires en Roumanie. Deux sociétés roumaines, spécialisées dans la formation d’agents de sécurité et dans la formation professionnelle (Formation Picarde de Sécurité et Wide Openworld SRL), dans lesquelles M. Floret, aujourd’hui président de la MRSSC (mutuelle qui démissionne du groupe Audiens) et M. Lenaud étaient actionnaires, ont été liquidées en août 2016, à la demande du fisc roumain.

Aujourd’hui, l’entreprise de presse parisienne commence, lentement mais sûrement, à récolter les fruits de sa restructuration. Après avoir enclenché une refonte du processus logistique et de ressources humaines, ainsi que la diversification des produits, la société se tourne vers la digitalisation « pour mieux répondre aux nouveaux enjeux de la distribution de la presse ». Elle a innové en lançant des applications telles que « Zeens », qui offre des réductions aux clients se rendant en kiosque ou « Digital Learning », une formation en ligne destinée à initier ses collaborateurs au numérique.

Le distributeur de presse a également pensé aux éditeurs. En janvier dernier, il signait l’acquisition du groupe Mercuri, spécialisé dans la promotion et la diffusion de la presse par la communication outdoor et indoor en centre-ville. « Nous étendons ainsi notre palette de services, notamment le conseil aux éditeurs, le réglage, la vente par tiers et le merchandising et proposons une offre full service destinée à devenir un fort relais de croissance pour notre groupe », déclarait Pascal Voisin, directeur commercial de Presstalis.

Le tournant digital permet au leader de la distribution de la presse de faire face aux changements rapides du secteur. Lundi 22 mai, Bouygues Telecom annonçait la conclusion d’un partenariat avec LeKiosk, entreprise fondée en 2007 qui propose un accès rapide à la presse numérique grâce à ses applications sur Android et iOS. Stratégique. Ce partenariat n’a pas échappé à Orange, Free et SFR qui se penchent sur le sujet.

Le digital sera-t-il suffisant pour redresser les comptes de l’entreprise ? Comme l’a annoncé PresseNews, ce 06 juin, le résultat d’exploitation (l’EBIT) en 2016 « prévu à 2,1 millions d’euros, a finalement été négatif de 1,9 million d’euro » et « les quatre conseils d’administration prévus ce mois-ci seront cruciaux pour l’avenir de Presstalis ». Selon PresseNews toujours, « la présidente de la messagerie, Anne Marie Couderc (…) pourrait ne pas se représenter ».