Avis d'expert par Jean-Paul Crenn, fondateur de VUCA Strategy

Le vent tourne pour ces plateformes et ce n’est pas trop tôt.
Le point d’inflexion a été la récente révélation selon laquelle Mark Zuckerberg était devenu, sans le vouloir, sans le savoir, l’intercesseur de Vladimir Putin dans les élections présidentielles américaines.

Mais Facebook n’est pas la seule plateforme pour laquelle le voile de la communication angélique se déchire sous la pression des conséquences de ses actions. Google, Apple et Amazon sont dans la même situation. Tout comme la révolution culturelle maoïste a dû reconnaître la réalité de ses actions au travers du procès de la « bande des 4 », les GAFA vont devoir commencer à rendre des comptes et à changer leurs comportements pour survivre. Car il va bien falloir qu’elles finissent par répondre aux mêmes normes et aux mêmes contraintes que les autres entreprises. Et il ne s’agit pas que d’évasions fiscales sous couvert d’optimisation.

GAFA


Vers la fin d’Amazon, Apple, Facebook et Google ?
Destruction d’emplois, domination, faible implication sociétale et capacité à détruire des pans entiers de l’économie sont les facteurs qui amèneront au démantèlement d’Amazon. Ce dernier a besoin de moins de la moitié des employés dont a besoin un distributeur traditionnel pour fournir le même niveau de service. Cela signifie qu’une progression annuelle de 20 Mds $ implique la destruction de 50 000 emplois dans la distribution. Depuis 2008, Walmart a payé 64 Mds de $ d’impôt sur les sociétés et Amazon 1,4. Amazon ne paie pratiquement pas d’impôts, subventionne la destruction de la distribution en parvenant à ne pas rémunérer son capital, en ayant des prêts bancaires à des taux inférieurs à ceux de la Chine, en développant son activité AWS et sa Marketplace ! Jeff Bezos est un génie du story-telling mais cela aura une limite.
Le démantèlement d’Amazon viendra des politiques, européens et américains quand ils comprendront, enfin, qu’ils ne peuvent pousser des cris d’orfraie sur l’évasion fiscale tout en leur offrant des avantages incroyables pour venir s’installer sur leur territoire, sans réelle contrepartie.

De son côté Apple a réussi à transformer en produit de luxe des objets manufacturés en masse. Apple a donc sans doute moins de souci à se faire de la part des gouvernements. Sa problématique d’évasion fiscale pourra être facilement résolue : avec tout son cash, elle pourra trouver un terrain d’entente avec le percepteur quand ce dernier se décidera, enfin, à frapper à sa porte. Apple, vénéré par « ceux qui comptent » s’est permis de faire un doigt d’honneur au gouvernement américain quand ce dernier a voulu accéder, ô sacrilège, à l’iPhone d’un terroriste. Apple se considère au-dessus des lois avec le soutien fervent de ses adeptes. Cela finira peut-être par agacer le citoyen américain lambda ainsi que le législateur…

Facebook a couvert des actions étrangères lors des dernières élections américaines. Non pas que ces quelques milliers de $ aient pu changer le cours des événements mais ces rois de l’IA ne seraient pas capables de remarquer ce type de tentative de manipulation par leur intermédiaire… De même, les agissements de Cambridge Analytica pour le compte de Donald Trump n’ont sauté aux yeux de personne chez Facebook. De deux choses l’une, soit Facebook ne sait vraiment pas ce qui se passe chez lui – et c’est peut-être pourquoi Zuckerberg met un scotch sur sa webcam – soit il considère qu’il n’a aucune responsabilité dans ce qui se fait ou se dit via sa plateforme. Son objectif est uniquement de faire de l’argent via des clics. Les contenus ne sont pas son problème. Que plusieurs études montrent que le réseau social favorise mécaniquement la haine n’est pas son souci. Au contraire, c’est bon pour le niveau d’implication des usagers qui ainsi s’auto-confortent dans leurs convictions de plus en plus extrêmes. Jusqu’où Ponce Pilate peut-il s’exonérer de ses responsabilités ?

Enfin Google est, selon les lois de l’antitrust, la plateforme la plus vulnérable aux interventions des gouvernements avec des parts de marché à plus de 90%. Or le marché du Search est désormais plus important que celui de la publicité, partout dans le monde, à l’exception des USA. Google est le plus conscient de la bande des 4 de son énorme pouvoir et des craintes que cela peut engendrer. Imaginez juste votre portrait et votre nom au-dessus de toutes les idioties que vous avez pu saisir dans cette foutue barre de recherche et vous commencerez à percevoir ce qui peut fait peur. Quand Dieu, la source de vérité omnisciente, n’est pas un gars invisible avec une barbe mais des employés qui font des barbecues tous les week-ends eh bien c’est… dérangeant. En ce début d’année l’amende de la commission européenne de 2,42 Mds € envers Google n’a pas fait bouger son cours de bourse ce qui montre que les investisseurs et donc le top management de l’entreprise n'en ont pas grand-chose à faire. Mais la commission ne va pas en rester là.

Le vent tourne d’abord en Europe
L’offensive venant d’Europe va se poursuivre, notamment avec l’application du Règlement Général sur la Protection des Données au 25 mai 2018. Si les USA tirent quelques bénéfices de la bande des 4, l’Europe n’en tire que des miettes tout en voyant ses propres champions étouffés par les GAFA (Nokia c’est quoi ? Qwant c’est où ?).
Ce qui peut freiner la bande des 4, y compris aux USA, c’est que la réalité de leurs actes démontre leur manque de sens civique ce qui, au vu de leur poids dans l’économie et donc la société va finir par ne plus être acceptable par un nombre de plus en plus grand de citoyens-utilisateurs-clients.

Le vent tourne au niveau technologique
Le vent pourrait bien tourner pour les GAFA par ce qui a fait leur force : la technologie. Elles se sont accaparées, à leur profit, celle de l’Internet (dont le fameux protocole TCP/IP est le socle) en mettant en oeuvre des stratégies de plateforme. Cela leur a permis de se positionner, grâce aux effets de réseau, comme des intermédiaires incontournables là où la promesse de l’Internet était justement d’éliminer ces fameux intermédiaires.
La technologie de la Blockchain, qui est le socle du Bitcoin, peut s’avérer aussi transformatrice que celle du TCP/IP car elle permet de certifier le transfert d’information. Ainsi, comme le dit très justement Gilles Babinet, la Blockchain pourrait faire à la transaction ce que le protocole TCP/IP a fait à l’information : créer, de façon automatisée, de la confiance, sans qu’il soit nécessaire de passer par des tiers tels que les GAFA, l’Etat ou les Bancassurances. Nous pouvons envisager avec la Blockchain une relation plus « horizontale », en peer to peer, pour tous les actes qui exigent de la confiance : transactions, réservations, actes de propriété, diplômes… mais également identité. Avec un coût bien moindre que celui exigé par les intermédiaires. Adieu les 10, 15, 20% exigés par Amazon ou Apple ! Bonjour la rémunération de nos comportements et de notre identité par Facebook ou Google ! Adieu Notaire, Commissaire aux comptes et autres comptables, adieu Blablacar, AirBnb ou Uber !
Cet alignement des planètes avec une Europe dos au mur, des citoyens qui doutent et la possible émergence de la Blockchain, va-t-elle faire de Facebook, Google, Apple et Amazon les MySpace, Altavista, Nokia et Félix Potin du futur ? Nul ne le sait. Mais ce qui est certain c’est que le temps de leur toute puissance est derrière elles. Elles vont devoir, enfin, rendre des comptes.

Le vent tourne !