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De la preservation des donnees: ce qui manque, ce n'est pas tant le support que l'ame

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GP
Allez, je commence un nouveau fil. Ça devient vraiment trop long dans
un fil sur la migration Win-Linux.

Mon expérience en la matière tend à prouver qu'aujourd'hui, les gens
s'en foutent.

Il y a... une vingtaine d'années, comme je m'intéressais aux guerres
de François Ier en Italie, j'avais demandé à la bibliothèque centrale
de la Ville de Montréal, un livre de François Guichardin (Francesco
Guicciardini), probablement son Histoire d'Italie.

Comme une fois sur deux, le livre ne se trouvait pas sur les rayons
disponibles au public, mais à la «réserve». J'étais en train de lire
une revue lorsqu'on me remit un livre de la grosseur de deux bottins
téléphoniques en me recommandant d'y faire bien attention.

L'ouvrage avait été imprimé... fin de la première moitié du XVIe sc.,
si je me rappelle bien, et était dans un parfait état de conservation.
Quand je dis parfait, je veux dire parfait. Personne n'avait pris de
notes dans les marges et on n'avait pas peur de déchirer les pages en
les tournant. Le livre était dans un état tel qu'on pouvait toujours
le confier à un quidam pour le lire... sur place, évidemment.

J'ai remis le livre en suggérant à mon tour d'en prendre bien soin. Il
me semblait y avoir des choses à apprendre sur les événements survenus
à cette époque et, même si certains passages avaient été censurés pour
la plus grande gloire de la royauté française, ça me semblait un
document important, surtout qu'il n'avait été réédité qu'en anglais,
au presses du MIT, si me souviens bien.

Après que des rénovations eurent été effectués aux planchers de la
bibliothèque, j'ai pensé vérifier ce qui était advenu de certains
livres qui m'étaient chers. À part celui-là, il n'y avait pas de
trésors historiques.

Comme je m'en doutais, le livre de Guichardin avait disparu, de même
qu'un petit livre de poche intitulé Vodka-Cola et qui décrivait les
relations entre Pepsi et les oligarques russes d'avant la chute du
mur. Par contre, Hannibal of Carthago de Mary Dolan était toujours là.
De toute façon, celui-là. j'en avais une copie sur mes tablettes.

Pour Vodka-Cola, c'était compréhensible. Aujourd'hui, les
bibliothécaires ne lisent pas plus que quiconque. Ce ne sont plus des
gens qui préservent des écrits, ce sont des gens qui préservent du
papier. Lorsque vient le temps de faire le ménage, ils regardent «si
le livre sort encore», sinon, c'est qu'il est désuet et on le vend
pour 25 ¢.

Des livres fabuleux m'ont été donnés ou quasi-donnés, même par des
librairies! Ex.: Les Lilas fleurissent à Varsovie de Alice Parizeau,
qui traînait dans une boîte de livre à donner et Les Vestiges du Jour
de Kazuo Ishiguro, neuf, payé 5.25 $ dans l'édition originale aux
Presses de la Renaissance... chez un libraire anglophone, il faut
dire. (Les grands éditeurs n'ont probablement vu que du feu dans le
cas Ishiguro.)

J'ai essayé de savoir ce qu'il était advenu du livre de Guichardin.
C'est comme si j'avais été un extra-terrestre demandant des détails
sur un sujet sans intérêt. Je n'ai janais eu de réponse. Peut-être
dort-il au fond de la cave d'un des directeurs et un de ses enfants
est-ul en train d'y exercer ses talents artistiques au crayon de cire.

De même, des ouvrages d'une valeur inestimable ne sont plus
réimprimés: Jeux avec l'Infini de Rósza Péter, une mathématicienne
hongroise (Points), L'Or jaune, l'Or noir de Jean Carrière (Points),
The Universe and Doctor Einstein de Lincoln Barnett, autrefois publié
chez Bantam, maintenant à peu près introuvable, sauf chez un illustre
et cher distributeur. (Faut dire que toutes les maths étaient là pour
bien comprendre la question. Très mauvais quand on craind les
terroristes...)

La gloire de Henri Laborit a dû le suivre dans sa tombe et ses
conneries doivent toujours se lire, tandis que les livres de Gérard
Mendel ont disparu des rayons des bibliothèques et librairies, et ne
sont plus disponibles quand dans l'édition la plus coûteuse de Payot.
Payot... c'est qui ça?

L'Apologie de Socrate, Criton et Phédon, préface de Émile Chambry chez
Flammarion, ça se trouve toujours en France, ou il ne reste que la
stupide édition de Gallimard? Et les Confessions de Rousseau, édition
Livre de Poche, préface de Jean Guéhenno?

Et, et, et... De tous les livres qui m'ont formé, il n'en reste
presque plus de disponibles. Les livres aujourd'hui, bons ou mauvais,
c'est du prêt à jeter. Alors, la conservation...

Avant même le problène des supports, il y en a un d'attitude. Dans les
périodes de décadence, bien des choses se perdent et ça n'a rien à
voir avec le support.

Bien sûr, l'autre, dont je ne me souviens plus du nom, dira que c'est
parce que je suis vieux, mais des générations entières, dont celles de
Montaigne et Rousseau, ont été formées par Platon-Socrate et,
aujourd'hui, on se contente d'en distribuer des extraits à des jeunes
qui ne sont pas prêts à les recevoir, qui aiment mieux regarder MTV.


Bien évidemment, on n'a pas plus de respect pour le futur que pour le
passé, même lorsque tous les moyens sont là. Qunad, j'étais entré
comme photographe pour United Press international au Ottawa Citizen,
dans le temps où le journal appartenait à la chaîne Thompson, avant
d'être rachetée par Conrad Black, puis par Izzy Asper -- ici aussi,il
y a une détérioration! -- le patron m'avait montré des copies de
photos des membres du parlement prises au début siècle, alors qu'on
fabriquait les émulsions et qu'on en enduisait des vitres au format 16
x 20 pouces.

Seulement, en ces jours modernes, il n'était plus temps de jouer à
cela. Si les photos pouvaient se garder jusqu'à leur parution dans le
journal le lendemain, c'était parfait.

C'est que, voyez-vous, à deux coins de rue de nos bureaux, il y avait
ceux de Canadian Press. Et eux aussi, ils avaient des "téléscripteurs
photo" dans les journaux à travers le Canada. Le patron m'avait donc
expliqué que si, de façon répétée, à l'heure de tombée, les photos de
CP arrivaient avant celles de UPI, ce serait celles qui seraient
utilisées. À la fin de l'année, les journaux faisaient le décompte et
si, par malheur, les photo de UPI ne représentaient qu'un pourcentage
marginal, adieu veaux, vaches, cochons, couvée, le contrat n'était
plus renouvelé.

Évidemment, on n'était pas toujours à l'heure de tombée, mais il
fallait tout de même faire vite, parce que ça pressait. TOUJOURS.
Alors, normalement, on donnait deux minutes de fixateur plutôt que
sept, on lavait une minute plutôt qu'une demi-heure, on trempait le
négatif à l'alcool de bois pour qu'il sèche plus vite. On imprimait
et, à la prochaine affectation.

Quand on était près de l'heure de tombée, on développait dans du
Dektol, du révélateur à papier, pour sauver 5 minutes. Pendant que
l'alcool de bois s'évaporait, le patron regardait les négatifs en les
inclinant sous la lumière pour les voir en positif, il poinçonnait les
photos à retemir, il écrivait les bas de vignettes pendant que
j'imprimais, collait le bas de vignette au bas de la photo,
l'installait sur le baril, c'était parti. Pour le Canada, l'Amérique
du Nord ou le monde, selon les "splits".

Mon patron disait que c'était du bon travail. Du travail
professionnel. J'avais 19 ans. J'étais sans doute le plus jeune
photographe qui ait jamais travaillé pour UPI. J'occupais un poste
pour lequel tous les jeunes -- parce que le salaire n'était pas
particulièment alléchant -- photographes à travers le monde se
décarcassaient. Allais-je protester? Non syndiqué?

Je laissais bien entendre qu'on aurait pu employer du Edwal(d?) Quick
Fix plutôt que du Kodak et du «hypo-clearing agent» après le fixateur.
Mais ça n'allait pas, il fallait faire simple. Même que, le révélateur
s'épuisant, le mardi, on ajoutait une minute au temps de
développement. Et ainsi de suite jusqu'au lundi suivant. (En-dedans,
je bouillais. Ça devait paraître...)

En 2070, le patron ne dira pas au nouveau photographe; «Regarde, ces
photos ont été prises il y a cent ans.» Déjà, il ne doit pas en rester
grand-chose.

Cela n'empêche, peu après que le patron ait compris que je ne
«fitterais» jamais dans son portrait de gang d'anglos et qu'il m'ait
congédié, UPI a perdu le contrat. Les photographes permanents, je
pense qu'ils avaient perdu le goût du travail bien fait sur toute la
ligne et, souvent, ils «posaient des portraits», ils faisaient du cliché.

UPI a ensuite été racheté par des intérêts arabes, puis est disparu.
Bien traitées, conservées dans un environnement approprié, elles en
auraient eu pour quelques siècles, c'est certain.

Encore une fois, le support n'est pas en cause. Ça s'appelle comment?
Décadence!

Là, on parle de support, c'est bien ça? Il est siper, le support, ça
va de soi! Tiens, un jour, avant que j'aie l'ADSL, je demande à un
vendeur de me télécharger Debian ou Mandrake, je ne me rappelle plus
trop. Au deuxième CD, l'employé le jette dans les poubelles. Je lui
demande ce qui se passe. Il sort le CD des poubelles, le gratte avec
le doigt et la couche argentée se met à se détacher. Naturellement,
l'autre après était parfait. Il fonctionne encore. Mais dans 100 ans?

Naturellement, c'étaient des CD de basse qualité. Moi, j'exige de la
qualité. Les premiers CD que j'ai achetés, c'était des Memorex
réinscriptibles. J'en ai bien jeté 3 0u 4 sur 10.

Là, j'ai des Mitsumi. En enlevant les poussières, l'autre jour -- vous
faites ça, vous, ou les poussières, c'est supposé «passer» -- je
m'aperçois qu'il y en a une qui ne veut pas disparaître. Et je
retrouve la même «poussière», de plus en plus petite, sur les 20 CDs
suivants. Je n'ose même pas les rapporter de peur de faire rire de
moi. Elle est tellement petite la pousssière!

Ça s'appelle comment les CD qui vont durer 100 ans? Et vous pensez que
le bibliothécaire qui peut lire les livres aujourd'hui simplement en
les ouvrant et qui aura des centaines de millers de CDROMs tous
identiques devant lui dans 100 ans, sera assez curieux pour sortir son
WordPerfect 1990, son AbiWord 2004, son Perfect-Mars-Talk 2050, pour
les lire ou les recopier dans 100 ans? Ou qu'il va tous les remettre à
jour d'ici là?

Aie! C'est qui le bouffon qui prétend ça? Parce que j'ai du boulot
pour lui.

Quelque part entre 1995 et 2000, sur alt.mindcontrol, la fille d'un
sénateur américain a décrit les visites que Oliver North -- Oliver
North, vous vous souvenez? -- faisait à son père afin de financer la
campagne de Reagan. Selon elle, il n'y avait pas que les Contras qui
aient bénéficié de l'argent de la drogue...

Il y a aussi eu un militaire qui décrivait l'emploi de la torture que
les Américains faisaient au Vietnam. 99.99999% des âneries sont
toujours chez Google, mais ce 0.00001 %, il m'est plus là, et ce n'est
pas une question d'une mauvaise date ou de mots clé mal choisis.

Alors, que faut-il se dire? Que ce qui compte c'est qu'il ne manque
que des miettes ou que tout ce qu'il y a d'important, ce sont ces
miettes qui disparaissent?

Alors, le bouffon qui veut prétendre que rien n'est en train de se
perdre, que le principal même, n'est pas en train de se perdre, je lui
donne le contrat... à titre bénévole, bien entendu, vu que les gens
qui ont des sous ont mieux à faire de leur argent.

Il y a plusieurs mois, lorsque j'ai jeté un coup d'oeil sur ce groupe
qui devait traiter des armes non-létales, il n'y avait plus rien
d'intéressant. En fait, sur ce sujet précis, je n'ai jamais rien lu
d'intéressant.

En d'autres mots, le groupe a été encore mieux noyauté que les groupes
Linux. Tantôt, c'était des gens qui avaient des problèmes avec les
extra-terrestres ou les «mind-machines», tantôt, c'étaient ceux qui
envoyaient indifféremment tous les intervenants prendre leurs pilules.
Un chassé-croisé au centre duquel pas une personne sensée n'aurait
voulu se trouver.

Mais il y en a ici pour prétendre que, à tout le moins, ce qui fait
l'essence de notre époque ne sera pas perdu, qu'on ne sombrera pas
sans laisser de traces, comme cette Atlantis qui captive notre
imagination. Laissez-moi rire!

GP



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Emmanuel Florac
Dans article <3ff6c9fe$,
disait...
La meilleure reste
évidemment celle des Belles-Lettres en édition bilingue


Je ne la connais pas. Très peu de gens lisent le grec classique
aujourd'hui, moi le premier. Je serais éditeur, je ferais deux
éditions séparées... mais celle en grec ne ferait pas ses frais.



Pas besoin de lire le grec classique... Même avec mes rudiments, je gagne
à avoir le texte grec à droite, j'arrive à le déchiffrer grâce à la
traduction, c'est vraiment un gros plus...

--
Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando?


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