Ah, ça vous fait marrer, le Te Deum ringard annonçant l'Eurovision...
Ah, vous vous gaussez de Zdob Si Zdub, le nom du groupe moldave... Ah,
vous ricanez au look impossible des hard-rockers norvégiens de Wig Wam
sapés de blanc tel le groupe Kiss se rendant à l'enterrement d'Eddie
Barclay... Eh bien, on ne rit pas. L'article VI-17 de l'Eurovision
proscrit «toute remarque sexiste, raciste ou autrement discriminatoire à
l'égard des artistes». Un point de règlement destiné aux commentateurs
qui «s'abstiendront de parler durant l'interprétation des chansons» et
que Julien Lepers, bavard choisi cette année par France 3, va
certainement avoir un mal de chien à respecter. Quant à Bernard Montiel
sur TMC, dont la ligne éditoriale consiste à dauber sur tout le monde,
il est en totale infraction avec les règles du concours. Twelve points
en conséquence au plutôt cool TCE et son article II-70 qui reconnaît
quant à lui «le droit à l'objection de conscience».
*Oui* parce que l'immigration est favorisée
Généreuse Eurovision qui laisse aux artistes la liberté de concourir
pour le pays de leur choix. Ainsi, la très modérément luxembourgeoise
France Gall a-t-elle pu remporter le pompon pour le compte du
grand-duché en 1965 avec Poupée de cire, poupée de son. Il aura fallu le
temps, mais le TCE met l'Europe à ce noble diapason en établissant
second alinéa de l'article II-75 que «tout citoyen de l'Union a la
liberté de chercher un emploi, de travailler, de s'établir ou de fournir
des services dans tout Etat membre». En gros, non seulement un plombier
polonais peut venir pousser la chansonnette pour la France, mais il peut
le faire en polonais : depuis 1999, les candidats ne sont plus tenus de
s'exprimer dans la langue officielle du pays qu'ils représentent. Mieux,
toujours en avance, l'Eurovision a intégré la Turquie depuis belle
lurette (1975) alors que la question n'est même pas évoquée dans le TCE.
Mais l'Eurovision ayant tendance à voir large en matière d'intégration
(Israël, Maroc, Russie...), il a fallu organiser une demi-finale,
diffusée jeudi soir, dont n'ont réchappé que dix pays qui ont rejoint
les quatorze qualifiés d'office. Parmi ceux-ci, la France, non par la
qualité de ses prestations antérieures, mais parce qu'elle fait partie
des plus gros contributeurs.
*Non* parce qu'il faut raquer pour voter
Les gens sont méchants. Ils critiquent le TCE, disent que le
gouvernement se paye leur tronche avec ce référendum. Mais, au moins,
pas besoin de payer pour voter. A l'Eurovision, si. Depuis 1997, les
délicieux twelve points ne sont plus attribués par des jurys de vieux
barbons, mais par les téléspectateurs grâce à l'instrument paneuropéen
de la démocratie télévisuelle : le numéro surtaxé.
*Oui* pour la défense du service public
Principal point de discorde entre tenants du oui et du non à la
Constitution, le dossier de la défense du service public est limpide
dans l'Eurovision. Ici, point de fumeux article II-96 évoquant de vagues
«services d'intérêt économique général» mais une règle claire : seules
sont autorisées à participer les télés publiques. C'est une garantie que
jamais ce monument d'oecuménicité musicale et de costumes chamarrés ne
tombera entre les mains de TF1 ou autres chaînes berlusconiennes
promptes à tout foutre par terre à coups de jeunes filles court vêtues
et d'innombrables coupures pub.
*Non* parce qu'y a de la triche
Alors que l'article II-80 du TCE établit clairement que «toutes les
personnes sont égales en droit», ça pèche sérieusement de ce côté dans
l'Eurovision. Ainsi, certains candidats, notamment les Scandinaves,
sont-ils un peu plus égaux que les autres : ces gougnafiers votent les
uns pour les autres ! Ce scandale dure depuis 1964, date à laquelle
Norvège, Danemark et Finlande se sont, pour la première fois,
entre-plébiscités. Mais le problème s'est déplacé vers l'Est. Depuis la
perestroïka, l'ex- URSS a déferlé sur l'Eurovision. Résultat :
l'Estonie, la Lettonie et l'Ukraine, séparées mais solidaires, ont
remporté le concours, respectivement en 2001, 2002 et 2004. Selon nos
informations, toutes les tentatives de conjuration entre la France,
Monaco, le Luxembourg et Andorre auraient en revanche lamentablement échoué.