[IDLT] [LONG] Contestations

Article paru dans Minute du 03/09/03.

Le père de Carole Rousseau en croisade contre TF1.

Un père et une fille qui ne se parlent plus beaucoup, c'est banal. Mais
quand le premier fait attaquer en justice l'employeur du second, et
écrit un livre pour dire tout le mal qu'il pense de la télévision en
général, et des émissions de sa fille en particulier, c'est qu'il y a
forcément quelque chose de pourri au royaume d'Audimat...

Minute : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre, dénonçant les
dérapages de L'île de la tentation, la principale émission de
télé-réalité de TF 1?

Guy Rousseau : Ma première démarche n'a pas été de chercher s'il y avait
une escroquerie. Aixois, j'ai rencontré Aurélie et Laurent, Aixois eux
aussi, et anciens participants de l'émission, profondément blessés par
ce qui s'était produit pendant le tournage [voir encadré : L'île de la
perdition]. Je suis venu les voir comme un spectateur lambda, pour
savoir ce qui s'était réellement passé.

Mais vous n'êtes pas un spectateur Iambda.

C'est vrai. Tout est parti de l'émission de ma fille C'est quoi l'amour,
spéciale lIe de la tentation, diffusée le 4 octobre 2002. Elle m'a
littéralement fait hurler, encore plus avec sa reprise en novembre, dans
le magazine « Entre-vue », a grand renfort de photos de filles nues.

«Elle a une besace à la place du coeur>'

Pourquoi ne pas avoir tout simplement appelé votre fille, pour lui
exprimer votre désaccord avec le contenu de l'émission et ce que vous
pensiez de son travail? On a eu quelques échanges sur le sujet, mais
Carole n'est pas une fille qui accepte qu'on lui dise ses quatre
vérités. En fait, Carole est équipée de deux porte-monnaie à la place
des yeux et d'une besace à la place du coeur. Evidemment, nos relations
ne sont pas bonnes, mais ce n'est pas pour autant un règlement de
comptes. Je peste aussi contre Mireille Dumas quand elle traite la
prostitution de manière racoleuse, et contre toutes ces émissions que
déverse la télévision à longueur de journée, qui manipulent les esprits
et qui sont destructrices.

Laurent, ancien participant de L'île de la tentation a donc déposé
plainte contre Glem, le producteur de l'émission, et contre TF l, pour
escroquerie et atteinte à la dignité humaine. Vous l'y avez incité,
pourquoi?

A la lecture de mon livre, quelqu'un qui ne connaît pas bien le droit ne
va pas forcément voir que, dans l'histoire d'Aurélie et de Laurent, il y
a eu escroquerie et atteinte à la dignité de la personne. C'est pourtant
le cas. C'est le motif de la plainte déposée par Laurent le 13 juin
demier contre les personnes physiques et morales responsables de
l'émission devant Edith Boizette, doyen des juges d'instruction au
tribunal de grande instance de Paris (1). Je suis en effet scandalisé
par cette émission où l'on a tout fait, et où l'on fait encore tout,
pour disloquer des couples artificiellement, par voyeurisme. Je dénonce
en fait les manipulations, les trucages et les falsifications qui
entachent les émissions destinées aux jeunes, je dénonce les millions
d'euros consacrés à stariser l'infidélité.

Pas question de transaction à l'amiable

Comment la plainte de Laurent Maïus a-t-elle été reçue par TFl ?

TF1 s'est contenté de répondre que la plainte ne leur avait pas été
signifiée, et que Laurent avait pu s'exprimer dans l'émission de Carole
Rousseau, celle qui justement m'a fait bondir, émission qui a été
entièrement montée et dans laquelle tous ses propos dénonçant la
télé-réalité ont été supprimés. En fait, TF1 a cru avoir simplement
affaire à un pizzaïolo et à une serveuse, et donc, qu'on pouvait les
manipuler. J'ai dit à Laurent et Aurélie qu'avec ce qu'il y avait dans
le livre, ils obtiendraient sans mal un million de francs dans le cadre
d'une transaction avec TF1. Ils n'ont même pas voulu en entendre parler
et souhaitent que leur plainte aille jusqu'au bout.

Est-ce que vous imaginez votre fille prendre son téléphone, sur ordre,
pour essayer de «ramener son père à la raison ?»

Si j'étais patron de TF1, je lui demanderais de décrocher son téléphone
pour m'appeler, car ils vont au devant de problèmes graves. Je ne veux
pas les lâcher. Avec ces émissions, on a réussi à intoxiquer les gens
comme avec l'alcool et la drogue. Les gens que je croise tous les jours
sont demandeurs d'une autre télévision, mais ils sont intoxiqués.

Combien avez-vous vendu d'exemplaires de votre ouvrage ?

J'en vends 150 par jour depuis le 6 décembre, et je songe à verser tous
mes droits d'auteur à une association musclée de défense des
téléspecta-teurs, association qui reste encore àcréer! Propos recueillis
par François-Eric Helmedach


(1) La plainte de Laurent Rousseau vise Glem et TF1, pour "escroquerie "
(article 313-1 du Code pénal), "fourniture de services [par une personne
vulnérable] en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec
l'importance du travail accompli " (article 225-13) et publication d'un
montage "réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son
consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage
ou s'il n'en est pas expressément fait mention "(article 226-8).

Retour aux arènes, à tous les naufragés de l'Audimat, par Guy Rousseau,
14,90 euros franco (à commander à Guy Rousseau, Bp 581, 13092
Aix-en-Provence Cedex 2).



**L'île de la perdition.**

Prenez quatre couples de jeunes et beaux
garçons et filles, et placez-les sur une île paradisiaque. Séparez les
couples. Saupoudrez le tout de belles sirènes et de beaux apollons,
chargés de séduire, tenter, et même faire fauter les célibataires
forcés. Filmez le tout, et montrez-le à trois à quatre millions de
téléspectateurs (beaucoup moins que prévu) ainsi qu'aux conjoints
trahis, qui tour à tour fondent en larmes, se vengeant en retour de la
même manière, etc. Tel est le concept de L'île de la tentation. Or tout
est bidon ou presque : la plupart des couples sont inventés de toutes
pièces par les producteurs, sur casting (comme les stars du jeu : Diana
et Brandon, dont les noms seuls sonnent déjà faux), quitte à laisser
passer sans s'en rendre compte un homosexuel notoire évidemment
insensible aux charmes féminins, bouleversant la stratégie des
scénaristes. Quant aux célibataires dragueurs, soidisant infirmier,
secrétaire, bref, des gens comme vous et moi, ce sont tous des
gogo-danseurs et des entraîneuses, recrutés par les producteurs dans des
boîtes branchées... C'est une des raisons pour lesquelles Laurent, un
des candidats, a porté plainte pour escroquerie. Le jeu auquel il
participait a tourné pour lui au cauchemar. Selon lui, tout a été pensé
par la production pour suggérer à sa petite amie, Aurélie, qu'il l'avait
trompée. D'abord, les fausses indiscrétions : «Sais-tu que Laurent
s'éclate, en ce moment, et qu'il ne pense pas à toi?» déclare
l'animateur du jeu à Aurélie, lors d'un épisode. Elle parle au jourd'hui
de lavage de cerveau. Même chose avec les images suggestives, car
montées. Ainsi, lorsque les participantes étaient invitées à choisir
entre deux extraits vidéos montrant leur fiancé «en situation» avec les
séductrices, un extrait « hard » et un extrait «soft»... Quel que soit
leur choix, c'était la version « hard » qui leur était diffusée,
laissant supposer, pour celles qui choisissaient le «soft», que l'autre
était encore pire. Aurélie et Laurent reprochent aussi à la société de
production et àTF 1 d'avoir dévoilé à l'antenne des éléments de leur vie
privée avant le jeu, éléments recueillis par des psys pendant la
sélection et sur lesquels on leur avait promis la confidentialité. Rien
à voir donc avec des conditions de travail dignes, puisque, paradoxe,
les participants de L'île de la tentation ne sont pas de simples
candidats à un jeu, mais bien... des employés. Le prix des salissures et
des blessures ? 1 500 euros par personne...