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Petite loi pour la confiance dans l'économie numérique

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Bruno cinelli
Bonjour,

Voici un résumé de la petite loi pour la confiance dans l'économie
numérique, adoptée par le Sénat en 2ème lecture le 8 avril 2004.


PRINCIPALES NOUVEAUTES :

- Le délai de prescription des infractions de presse sur Internet court à la
date de cessation du contenu (infraction continue), et non plus à compter du
premier acte de publication (infraction instantanée). Le législateur
s'oppose donc à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Une
répression accrûe mais justifiée : une infraction instantanée favorisait
l'impunité de son auteur, ce dernier pouvant faire "dormir" l'infraction
pour la réveiller trois mois après sa publication.

- Suppression de l'obligation de filtrage en amont qui avait été insérée par
l'Assemblée nationale. Cette disposition était contraire à la Directive du 8
juin 2000. Le Sénat encourage l'adoption par les hébergeurs d'une Charte
d'auto-régulation des contenus racistes et pédophiles. C'est une précision
peu utile puisque les hébergeurs n'ont pas attendu le Ministre délégué pour
rédiger un Code de bonne conduite. En tout état de cause, aucune sanction
est prévue.

- L'autorité judiciaire peut ordonner à l'hébergeur d'effectuer une
surveillance ciblée et temporaire. Il s'agit d'une disposition déjà prévue
dans le Code de procédure pénale (système des écoutes). Cependant, les
pouvoirs du juge sont considérablement élargis. Le Code de procédure pénale
prévoit que ces interceptions doivent remplir deux conditions cumulatives :
elle doit être nécessaire à une information judiciaire déjà ouverte et la
peine encourue doit être égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement. La
LCEN ne prévoit aucune restriction à cette surveillance qui pourra donc
concerner toute infraction.

- Le juge peut prescrire en référé ou sur requête, toute mesure propre à
prévenir ou faire cesser un dommage, en s'adressant d'abord à l'hébergeur, à
défaut au FAI. Cette disposition est une reprise des référés prévus par le
Code de Procédure civile (art. 808 et 809), mais avec une précision nouvelle
: le premier interlocuteur de l'autorité judiciaire est l'hébergeur, à
défaut le FAI. Cette disposition ne fait qu'éloigner davantage,
juridiquement, le FAI du contenu stocké par les hébergeurs.

- Suppression de l'exigence de durabilité du stockage pour l'application du
régime des hébergeurs. Les exploitants des forums de discussions (web et
usenet) se voient appliquer le régime des hébergeurs, avec toutes les
difficultés techniques et humaines que cela implique.

Le stockage peut en effet être temporaire ou durable, la Directive n'apporte
aucune précision dans son article 14. Par contre, l'exclusion du régime des
hébergeurs aux fournisseurs de salons de discussions est certaine : il n'y a
pas de stockage d'informations mises à disposition du public. Dans ce
dernier cas, c'est le droit commun qui s'applique.



PRINCIPAUX MAINTIENS :

- Privatisation de la justice : malgré les efforts de trois députés (Weber,
Terrade et Renar) et l'invocation de dispositions constitutionnelles, le
gouvernement, le rapporteur et le législateur ont fait prévaloir la
Directive sur la Constitution (alors qu'elle lui est hiérarchiquement
inférieure). Conséquence : tout tiers pourra toujours apporter à l'hébergeur
la connaissance du fait litigieux (notification) et demander le retrait d'un
contenu illicite.

Cette disposition est largement favorable aux industries du disque
souhaitant lutter contre la mise à disposition du public de fichiers
protégés par le droit d'auteur ou les droits voisins.

L'hébergeur devra donc juger le contenu eu égard les éléments apportés par
le plaignant dans la notification. S'il refuse de le retirer, il devra
prouver sa bonne foi devant le juge, par exemple en prouvant que les
éléments fournis ne permettaient pas d'être certain que le contenu est
illicite. En pratique, l'hébergeur ne prendra pas le risque des frais d'une
action en justice.

Au cas où, espérons qu'il ait un bon avocat qui fera valoir les dispositions
constitutionnelles : le juge est seul garant des libertés individuelles.

- Toujours aucune précision sur la forme de la notification et aucun décret
d'application prévu. Ce qui signifie que pour avoir une force probatoire, la
notification devra notamment être signée électroniquement (impossibilité
actuellement). Seule solution pour les plaignants : une lettre en recommandé
avec accusé de réception. Les hébergeurs se garderont bien d'apporter cette
exigence sur leur site et éviteront les accusés de réception des mails. A
retenir

- La définition du courrier électronique est inchangée. Elle suppose
l'existence de deux types de courriers électroniques : les correspondances
privées (protégées par le Code pénal et la loi de 1991 sur le secret des
correspondances), et les correspondances publiques (articles Usenet par
exemple). Les correspondances envoyées et reçues dans et à partir d'une
boite mail sont privées. La jurisprudence est constante sur ce point : entre
autres décisions : Cour de cassation, 2 octobre 2001, arrêt Nikkon : "un
courrier entre personnes déterminées et individualisées" est "une
correspondance privée".

- Le juge peut toujours demander aux hébergeurs les informations de nature à
identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu, sous
peine d'engager leur responsabilité pénale. Cette disposition était déjà
prévue par la loi du 1er août 2000, il aurait été judicieux de préciser que
seul le responsable du site pouvait être responsable. Espérons que le juge
n'ira pas demander à l'hébergeur les informations personnelles de
l'infographiste du site litigieux (c'est un exemple).



CONCLUSION :

On peut regretter que les sénateurs aient maintenu LA disposition la plus
liberticide et donc la plus contestée, celle de la saisine des hébergeurs
par les tiers dénonçant un contenu qu'ils estiment illicites et en demandant
le retrait. Cela place l'hébergeur dans le rôle de juge, et créé un fort
risque de censure privée, contraire à la Constitution, le juge étant seul
garant des libertés individuelles. Certains sénateurs ont entendu les
contestations d'associations de défense des intermédiaires techniques, mais
cela n'a pas suffit, le gouvernement et la majorité des sénateurs présents
en séance (très peu nombreux) y ayant été insensibles.

Cependant, il faut mesurer le risque de responsabilité des hébergeurs :

- Tout d'abord, la notification apportant la connaissance des faits
litigieux doit contenir des éléments listés de manière exhaustive. Le défaut
d'un seul de ces éléments pourra être mis en exergue par l'hébergeur pour ne
pas y donner suite.

- Ensuite, aucun formalisme n'étant prévu pour la notification, celle-ci ne
pourra se faire actuellement que sur support papier :

- Une notification envoyée par mail ordinaire n'emportera pas la
conviction du juge, car elle n'identifie pas l'expéditeur : l'hébergeur
veillera à n'y donner aucune réponse (ni même un accusé de réception). Pour
que le plaignant puisse se prévaloir de son écrit électronique devant le
juge, ce dernier devra être accompagné d'une signature électronique,
actuellement indisponible sur le marché. La notification par voie
électronique est donc actuellement exclue.

- Une notification envoyée par lettre simple n'a aucune force
probante. Le plaignant devra donc envoyer une lettre en recommandé avec
accusé de réception comportant tous les éléments nécessaires à la validité
de la notification. C'est à cette seule condition que l'hébergeur aura
connaissance des faits litigieux.

En résumé, ce seront le plus souvent les titulaires de droits d'auteur
(SACEM...) qui seront en mesure de connaître la loi et les modalités de
validité d'une notification.

- Enfin, si les modalités de la notification sont respectées et que la
notification a été envoyée par LRAR, alors l'hébergeur devra juger (oui, il
faut dire le mot) la licéité et l'illicéité du contenu estimé illicite par
le plaignant. Concrétement, l'hébergeur veillera à retirer les contenus
manifestement illicites (pédophilie, provocation à la haine raciale,
révisionnisme, négationnisme, atteintes au droit d'auteur) mais pourra
quasiment sans crainte maintenir des contenus présumés diffamatoires.



Cette privatisation de la justice est définitive. Les députés et les
sénateurs étant d'accord sur ce point, elle ne sera pas remise en cause par
la Commission mixte paritaire. La lutte semble vaine.

Seule espérance : le Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en 2000
censuré cette saisine par les tiers, la considérant inconstitutionnelle. Si
la disposition n'est pas censurée, l'hébergeur devra être très prudent sur
la gestion des notifications et veillera à profiter des quelques conseils
que j'ai donnés dans ce message (ils ne sont pas complets, mais il serait
bon qu'ils en aient connaissance).



Et pour finir, le ponpon du Ministre délégué :
"Les forums, par définition, c'est du direct"


Cordialement,

--
Bruno Cinelli
Courriel : bruno[@]lexretis.com

1 réponse

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Jean-Baptiste Soufron
Le Fri, 09 Apr 2004 18:28:43 +0200, Bruno cinelli a écrit :

Je crois que tu t'avances un peu rapidement sur de nombreux points :)

Mais, sinon, bonne synthèse, mais tu n'as pas relevé la fin du titre IV
qui propose de limiter la liberté d'expression pour permettre le
développement de l'industrie audiovisuelle en France!

C'était pourtant joli :)

Le
Fri, 09 Apr 2004 18:28:43 +0200, Bruno cinelli a écrit :

Bonjour,

Voici un résumé de la petite loi pour la confiance dans l'économie
numérique, adoptée par le Sénat en 2ème lecture le 8 avril 2004.


PRINCIPALES NOUVEAUTES :

- Le délai de prescription des infractions de presse sur Internet court à la
date de cessation du contenu (infraction continue), et non plus à compter du
premier acte de publication (infraction instantanée). Le législateur
s'oppose donc à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Une
répression accrûe mais justifiée : une infraction instantanée favorisait
l'impunité de son auteur, ce dernier pouvant faire "dormir" l'infraction
pour la réveiller trois mois après sa publication.

- Suppression de l'obligation de filtrage en amont qui avait été insérée par
l'Assemblée nationale. Cette disposition était contraire à la Directive du 8
juin 2000. Le Sénat encourage l'adoption par les hébergeurs d'une Charte
d'auto-régulation des contenus racistes et pédophiles. C'est une précision
peu utile puisque les hébergeurs n'ont pas attendu le Ministre délégué pour
rédiger un Code de bonne conduite. En tout état de cause, aucune sanction
est prévue.

- L'autorité judiciaire peut ordonner à l'hébergeur d'effectuer une
surveillance ciblée et temporaire. Il s'agit d'une disposition déjà prévue
dans le Code de procédure pénale (système des écoutes). Cependant, les
pouvoirs du juge sont considérablement élargis. Le Code de procédure pénale
prévoit que ces interceptions doivent remplir deux conditions cumulatives :
elle doit être nécessaire à une information judiciaire déjà ouverte et la
peine encourue doit être égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement. La
LCEN ne prévoit aucune restriction à cette surveillance qui pourra donc
concerner toute infraction.

- Le juge peut prescrire en référé ou sur requête, toute mesure propre à
prévenir ou faire cesser un dommage, en s'adressant d'abord à l'hébergeur, à
défaut au FAI. Cette disposition est une reprise des référés prévus par le
Code de Procédure civile (art. 808 et 809), mais avec une précision nouvelle
: le premier interlocuteur de l'autorité judiciaire est l'hébergeur, à
défaut le FAI. Cette disposition ne fait qu'éloigner davantage,
juridiquement, le FAI du contenu stocké par les hébergeurs.

- Suppression de l'exigence de durabilité du stockage pour l'application du
régime des hébergeurs. Les exploitants des forums de discussions (web et
usenet) se voient appliquer le régime des hébergeurs, avec toutes les
difficultés techniques et humaines que cela implique.

Le stockage peut en effet être temporaire ou durable, la Directive n'apporte
aucune précision dans son article 14. Par contre, l'exclusion du régime des
hébergeurs aux fournisseurs de salons de discussions est certaine : il n'y a
pas de stockage d'informations mises à disposition du public. Dans ce
dernier cas, c'est le droit commun qui s'applique.



PRINCIPAUX MAINTIENS :

- Privatisation de la justice : malgré les efforts de trois députés (Weber,
Terrade et Renar) et l'invocation de dispositions constitutionnelles, le
gouvernement, le rapporteur et le législateur ont fait prévaloir la
Directive sur la Constitution (alors qu'elle lui est hiérarchiquement
inférieure). Conséquence : tout tiers pourra toujours apporter à l'hébergeur
la connaissance du fait litigieux (notification) et demander le retrait d'un
contenu illicite.

Cette disposition est largement favorable aux industries du disque
souhaitant lutter contre la mise à disposition du public de fichiers
protégés par le droit d'auteur ou les droits voisins.

L'hébergeur devra donc juger le contenu eu égard les éléments apportés par
le plaignant dans la notification. S'il refuse de le retirer, il devra
prouver sa bonne foi devant le juge, par exemple en prouvant que les
éléments fournis ne permettaient pas d'être certain que le contenu est
illicite. En pratique, l'hébergeur ne prendra pas le risque des frais d'une
action en justice.

Au cas où, espérons qu'il ait un bon avocat qui fera valoir les dispositions
constitutionnelles : le juge est seul garant des libertés individuelles.

- Toujours aucune précision sur la forme de la notification et aucun décret
d'application prévu. Ce qui signifie que pour avoir une force probatoire, la
notification devra notamment être signée électroniquement (impossibilité
actuellement). Seule solution pour les plaignants : une lettre en recommandé
avec accusé de réception. Les hébergeurs se garderont bien d'apporter cette
exigence sur leur site et éviteront les accusés de réception des mails. A
retenir

- La définition du courrier électronique est inchangée. Elle suppose
l'existence de deux types de courriers électroniques : les correspondances
privées (protégées par le Code pénal et la loi de 1991 sur le secret des
correspondances), et les correspondances publiques (articles Usenet par
exemple). Les correspondances envoyées et reçues dans et à partir d'une
boite mail sont privées. La jurisprudence est constante sur ce point : entre
autres décisions : Cour de cassation, 2 octobre 2001, arrêt Nikkon : "un
courrier entre personnes déterminées et individualisées" est "une
correspondance privée".

- Le juge peut toujours demander aux hébergeurs les informations de nature à
identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu, sous
peine d'engager leur responsabilité pénale. Cette disposition était déjà
prévue par la loi du 1er août 2000, il aurait été judicieux de préciser que
seul le responsable du site pouvait être responsable. Espérons que le juge
n'ira pas demander à l'hébergeur les informations personnelles de
l'infographiste du site litigieux (c'est un exemple).



CONCLUSION :

On peut regretter que les sénateurs aient maintenu LA disposition la plus
liberticide et donc la plus contestée, celle de la saisine des hébergeurs
par les tiers dénonçant un contenu qu'ils estiment illicites et en demandant
le retrait. Cela place l'hébergeur dans le rôle de juge, et créé un fort
risque de censure privée, contraire à la Constitution, le juge étant seul
garant des libertés individuelles. Certains sénateurs ont entendu les
contestations d'associations de défense des intermédiaires techniques, mais
cela n'a pas suffit, le gouvernement et la majorité des sénateurs présents
en séance (très peu nombreux) y ayant été insensibles.

Cependant, il faut mesurer le risque de responsabilité des hébergeurs :

- Tout d'abord, la notification apportant la connaissance des faits
litigieux doit contenir des éléments listés de manière exhaustive. Le défaut
d'un seul de ces éléments pourra être mis en exergue par l'hébergeur pour ne
pas y donner suite.

- Ensuite, aucun formalisme n'étant prévu pour la notification, celle-ci ne
pourra se faire actuellement que sur support papier :

- Une notification envoyée par mail ordinaire n'emportera pas la
conviction du juge, car elle n'identifie pas l'expéditeur : l'hébergeur
veillera à n'y donner aucune réponse (ni même un accusé de réception). Pour
que le plaignant puisse se prévaloir de son écrit électronique devant le
juge, ce dernier devra être accompagné d'une signature électronique,
actuellement indisponible sur le marché. La notification par voie
électronique est donc actuellement exclue.

- Une notification envoyée par lettre simple n'a aucune force
probante. Le plaignant devra donc envoyer une lettre en recommandé avec
accusé de réception comportant tous les éléments nécessaires à la validité
de la notification. C'est à cette seule condition que l'hébergeur aura
connaissance des faits litigieux.

En résumé, ce seront le plus souvent les titulaires de droits d'auteur
(SACEM...) qui seront en mesure de connaître la loi et les modalités de
validité d'une notification.

- Enfin, si les modalités de la notification sont respectées et que la
notification a été envoyée par LRAR, alors l'hébergeur devra juger (oui, il
faut dire le mot) la licéité et l'illicéité du contenu estimé illicite par
le plaignant. Concrétement, l'hébergeur veillera à retirer les contenus
manifestement illicites (pédophilie, provocation à la haine raciale,
révisionnisme, négationnisme, atteintes au droit d'auteur) mais pourra
quasiment sans crainte maintenir des contenus présumés diffamatoires.



Cette privatisation de la justice est définitive. Les députés et les
sénateurs étant d'accord sur ce point, elle ne sera pas remise en cause par
la Commission mixte paritaire. La lutte semble vaine.

Seule espérance : le Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en 2000
censuré cette saisine par les tiers, la considérant inconstitutionnelle. Si
la disposition n'est pas censurée, l'hébergeur devra être très prudent sur
la gestion des notifications et veillera à profiter des quelques conseils
que j'ai donnés dans ce message (ils ne sont pas complets, mais il serait
bon qu'ils en aient connaissance).



Et pour finir, le ponpon du Ministre délégué :
"Les forums, par définition, c'est du direct"


Cordialement,


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