Face à une échéance jugée dogmatique, la filière automobile française et le gouvernement durcissent le ton contre Bruxelles. Ils ouvrent désormais publiquement la porte à une renégociation de l'interdiction des moteurs thermiques neufs en 2035, agitant la menace d'un désastre industriel et social.

Le couperet est tombé il y a plusieurs mois : l'Union européenne a acté l'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique à l'horizon 2035.

Une décision majeure visant à accélérer la décarbonation des transports, mais qui a immédiatement soulevé d'immenses inquiétudes au sein d'une industrie historiquement puissante en Europe.

C'est dans ce contexte tendu que s'est tenue, le 4 novembre à Paris, une journée cruciale pour la filière automobile française, marquant un point d'inflexion dans le discours de ses principaux acteurs.

Une décision "dogmatique" aux conséquences sociales désastreuses

La charge la plus virulente est venue de Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA) et ancien ministre de l'Industrie. Devant un parterre de professionnels réunis à la Cité des sciences, il a dénoncé sans détour une décision "politique" et "dogmatique".

Pour lui, l'Europe, leader mondial des moteurs thermiques depuis le XIXᵉ siècle, choisit de se faire "hara-kiri" en misant sur une technologie, l'électrique, où elle accuse près de dix ans de retard.

Tout en réaffirmant l'engagement du secteur pour la neutralité carbone en 2050, il a plaidé pour plus de flexibilité et de liberté technologique, soulignant que le marché n'est pas prêt, les clients jugeant encore les voitures électriques trop onéreuses.

Le constat social est particulièrement alarmant. La filière, qui a déjà vu disparaître 40 000 emplois depuis 2020, craint la perte de 75 000 postes supplémentaires d'ici 2035. Une véritable hémorragie qui pousse Luc Chatel à affirmer qu'il y a "le feu au lac", appelant Bruxelles à rouvrir le débat sans attendre.

Le gouvernement français change de cap et pose ses conditions

Le tournant majeur de cette journée est venu de la parole gouvernementale elle-même. Jusqu'alors alignée sur la position européenne, la France a opéré une inflexion notable.

Le ministre de l'Industrie, Sébastien Martin, a déclaré que le gouvernement est désormais "ouvert à discuter de ce que doit être l’objectif de 2035", précisant que "le véhicule électrique n'est pas la seule solution". Ce changement de posture est une réponse directe aux angoisses de l'industrie.

Cette ouverture n'est cependant pas un chèque en blanc. Le ministre de l'Économie, Roland Lescure, a immédiatement posé une condition cruciale : toute flexibilité accordée doit "bénéficier aux industriels en Europe".

En filigrane se dessine la véritable stratégie de négociation de Paris : accepter un assouplissement de la trajectoire en échange de l'instauration d'un contenu minimum européen dans les voitures électriques produites sur le continent. Une manière de protéger le tissu industriel local face à la concurrence, notamment chinoise.

Vers une "neutralité technologique" portée par l'industrie européenne ?

Cette fronde française s'inscrit dans un mouvement de contestation plus large au niveau européen. Ola Källenius, le patron du géant allemand Mercedes-Benz et de l'ACEA, le lobby des constructeurs européens, était également présent à Paris pour marteler le même message.

Il a exhorté les autorités à adopter le principe de neutralité technologique pour atteindre les objectifs climatiques. Pour lui, il est impossible de "dicter au consommateur ce qu'il désire" dans une économie de marché.

Dans cette optique, l'électrification reste la voie privilégiée, mais elle ne doit pas être l'unique chemin. Les variantes hybrides ou encore les carburants non fossiles doivent pouvoir coexister pour assurer une transition plus douce et réaliste.

Le dirigeant allemand en est persuadé, "une voie plus intelligente vers l'écologie est possible". LLes négociations qui s'annoncent à Bruxelles s'annoncent intenses, avec une décision politique attendue avant la fin de l'année 2025.