Les centres de données sont au bord de la saturation : entre le streaming, les réseaux sociaux et l’essor de l’intelligence artificielle, chaque seconde laisse derrière elle un flot de données difficilement gérable.

Pourtant, une innovation s’inspirant à la fois du vivant et de l’ère analogique promet de bouleverser nos habitudes : la cassette ADN. Ce support inédit combine densité extrême, résistance hors norme et capacité théoriquement gigantesque. 

Le stockage sur ADN fait l'objet de recherches depuis plusieurs années avec l'espoir de parvenir à stocker d'immenses quantités de données dans des volumes très réduits, à l'image des informations de notre code génétique caché au coeur de nos cellules.

Un concept rétro à la sauce biotechnologie

Les nostalgiques des années 80 et 90 reconnaîtront la forme, mais son contenu relève de la science-fiction. Les chercheurs de l’université Southern University of Science and Technology en Chine, emmenés par Xingyu Jiang, ont mis au point une cassette ADN où l’on encode les informations numériques sous forme de séquences génétiques.

Comment ? Grâce à un ruban en polyester-nylon, similaire à celui d’une cassette audio, recouvert de codes-barres imprimés formant des micro-sections individuelles – autant de dossiers numériques accessibles instantanément.

Ce système, où chaque section fonctionne comme un répertoire informatique miniature, permettrait de classer méthodiquement des volumes de données sans précédent.

Chaque section du ruban est adressable, avec une précision permettant d’accéder directement au fichier souhaité et le codage repose sur les quatre bases de l’ADN (A, C, G, T), comme le binaire le fait avec les 0 et 1.

Stocker plus de 3 milliards de chansons sur quelques mètres

Quelle est la capacité réelle d'un tel système ? D’après les premiers tests, une cassette ADN de 100 mètres serait capable d’archiver l’équivalent de 3 milliards de chansons.

(credit : Li et al. Sciences Advances, 2025)

Le prototype affiche une performance impressionnante de 36 pétaoctets (soit 36 000 teraoctets). Cette technologie ambitionne ainsi de surpasser les bandes magnétiques, les disques durs et autres systèmes de stockage froid (les grands systèmes de stockage dans la durée dans lesquels les données sont lues épisodiquement)

Une longévité défiant le temps et l’électricité

Contrairement aux disques durs classiques, fragiles et gourmands en énergie, la cassette ADN mise sur une conservation millénaire. Un revêtement cristallin protège le code génétique contre la dégradation, multipliant la durée de vie théorique sans nécessité d’alimentation électrique.

Idéal pour les archives du futur, ce support pourrait conserver des données importantes des siècles durant, où la perte d’informations deviendrait une vieille histoire. 

Quels défis à l’heure de la démonstration ?

La promesse est grande, mais la mise en œuvre s’avère lente : lors de la première démonstration du concept, seulement 156 kilo-octets ont été écrits, et chaque cycle lecture-écriture a nécessité près d’une heure.

L’automatisation du système, hébergé dans un boîtier de la taille d’un lunch box équipé de moteurs, lecteur optique et microcontrôleur, marque toutefois une avancée majeure.

Si une montée en puissance du débit reste indispensable pour des usages courants, le prototype réalise déjà l’impossible en bouclant l’intégralité d’un cycle : encodage, adressage, récupération, suppression et ré-écriture automatique. La perspective d’une cassette universelle, fiable sur plusieurs siècles, commence à se dessiner.

Le temps d'encodage-décodage des informations stockées sur ADN reste l'un des points faibles de ces techniques, même si des progrès ont été enregistrés récemment. Toutefois, ils restent encore loin des plusieurs ordres de grandeur nécessaires pour en faire autre chose qu'un support de stockage de données de très long terme.

Vers quel futur pour la mémoire universelle ?

Alors que les datacenters engloutissent toujours plus d’électricité (rien qu’aux États-Unis, ils pèseraient déjà 4,4 % de la consommation nationale), la cassette ADN laisse espérer une alternative future à la fois écologique et pérenne.

Même si la compatibilité avec les systèmes d’archivage sera limitée dans un premier temps, les progrès réalisés laissent envisager un nouveau standard du stockage à très grande échelle à l'avenir.

Mais il reste encore beaucoup de travail pour faire de ce concept de cassette à ADN un produit commercial et plus largement pour démocratiser peut-être un jour cette forme de stockage d'information dans des systèmes grand public.