Qui n'a jamais entendu parler de la pierre philosophale, cette substance mythique capable de changer les métaux les moins nobles en or pur ? Ce fantasme a traversé les âges, et voilà que la science moderne vient y mettre son grain de sel, ou plutôt, son faisceau de protons ! Car oui, au CERN, le célèbre centre européen pour la recherche nucléaire, des scientifiques ont bel et bien réussi à produire de l'or à partir de plomb. Ou plutôt à transformer pendant un temps limité des atomes de plomb en atomes d'or. Un exploit réalisé notamment au sein de l'installation ISOLDE. Pour autant, pas la peine d'envisager une production massive d'or, car il y a, vous vous en doutez, un grain de sable dans la machine...
Comment fabriquer de l'or au XXIe siècle ?
Oubliez les chaudrons bouillonnants et les formules cabalistiques. Pour cette "alchimie" des temps modernes, le CERN utilise une technologie de pointe et se penche sur de la physique pure et dure.
Le plomb est constitué de 82 protons tandis que l'or n'en contient que 79. Le premier objectif pour transformer le plomb en or est donc de retirer trois protons au plomb. Pour ce faire rien de plus simple : il faut engager une réaction nucléaire... Phénomène permis par l'utilisation du Grand Collisionneur de hardons (LHC) qui forme un tunelle circulaire de 27 km et se présente comme un accélérateur de particule.
Le principe est le suivant : on accélère des atomes lourds à une vitesse proche de celle de la lumière avant de les faire se percuter... ou pas. Car à cette vitesse, les champs électromagnétiques des atomes entrent en intéraction (via la dissociation électromagnétique), même sans collision, c'est ce que l'on appelle la "colission ultra périphérique", phénomène qui peut entrainer l'émission de protons ou de neutrons. Le CERN explique "les lignes du champ électromagnétique sont aplaties comme une crêpe, selon une orientation perpendiculaire à la direction du mouvement". Dans le cas évoqué plus haut, si le plomb perd exactement trois protons, alors il se transforme en or.
Lors du processus, on peut ainsi, en théorie, transformer presque tout en n'importe quoi d'autre et d'autres composés sont également produits au passage, puisque rien ne se perd vraiment dans le processus.
Malheureusement, il y a un hic, et même plusieurs... Le principal est qu'une fois que le plomb s'est transformé en or, il n'est pas possible de le récupérer. Propulsés ainsi à haute vitesse, les noyaux d'or produits heurtent alors le tube de faisceau du LHC dans lequel ils se fragmentent presque instantanément en protons, neutrons et autres particules. Dans les faits, l'or ainsi créé n'existe que pendant une infime fraction de seconde avant de se désintégrer.
Des paillettes d'or qui coûtent... une fortune !
C'est là que le rêve se heurte à un autre mur conséquent également. Si techniquement, la transmutation du plomb en or est possible, économiquement, c'est une tout autre histoire. Les quantités d'or produites sont infinitésimales – on parle de nanogrammes, voire de quelques atomes qui existent parfois une fraction de seconde. Pour obtenir ces quelques précieuses paillettes, il faut en contrepartie une énergie colossale pour faire fonctionner l'accélérateur de particules et tout l'équipement associé. Le coût de production d'un seul atome d'or par cette méthode dépasse de très, très loin sa valeur sur le marché. En bref, nous sommes loin de l'alchimie et plutot face à un gouffre financier sans fond.
Lors de différents tests menés au LHC entre 2015 à 2018, les scientifiques estiment être parvenus à créer environ 86 milliards de noyaux d'or au fil de 4 expériences majeures, soit l'équivalent de seulement 29 picogrammes.
Plus une prouesse scientifique qu'une mine d'or
Alors, à quoi bon cette expérience si ce n'est pas pour remplir les coffres du CERN ? L'intérêt est purement scientifique. Ces expériences permettent aux physiciens de mieux comprendre la structure des noyaux atomiques, les forces qui les régissent et les mécanismes de la transmutation. Transformer le plomb en or, même en quantités infimes, est une démonstration spectaculaire de notre maîtrise (relative) des lois de la physique nucléaire. C'est une sorte de "sous-produit" de recherches plus fondamentales sur la matière. Donc, non, le CERN ne va pas se reconvertir dans la joaillerie, mais il continue de repousser les frontières de la connaissance. Et ça, ça n'a pas de prix !