Le dodo, symbole de l’extinction animale, pourrait bientôt faire son retour sur terre. Après près de 400 ans d’absence, ce grand oiseau incapable de voler, originaire de l’île Maurice, est devenu l'emblème de la capacité prochaine à faire "renaître" des espèces.

La biotech texane Colossal Biosciences annonce avoir franchi une étape qualifiée de « pivot » dans la déextinction du dodo. Ce projet, mélange de haute technologie, de génie génétique et de considérations éthiques, suscite enthousiasme et controverse, autant chez les scientifiques que chez le grand public.

Une avancée majeure dans la science aviaire

«C’est un pas décisif, pas uniquement pour le dodo, mais pour toute la conservation des oiseaux, » déclare Beth Shapiro, directrice scientifique chez Colossal Biosciences. 

Pour la première fois, l’équipe a réussi à cultiver en laboratoire des cellules germinales primordiales de pigeon, à savoir des précurseurs d’ovules et de spermatozoïdes.

dodo

S’appuyant sur le génie génétique, la méthode implique d’editer le génome du pigeon de Nicobar, l’espèce la plus proche du dodo, puis d’utiliser des poules génétiquement modifiées pour porter ces cellules.

Ce travail veut ouvrir la voie à de nouveaux outils pour la conservation des espèces, avec le développement de protocoles pour préserver d'autres espèces d'oiseaux en danger ou d'éditer des gènes afin de lutter contre certaines maladies.

« L’avancée sur les cellules germinales de pigeon révolutionne les technologies aviaires, fondant notre démarche dodo, » insiste Anna Keyte, directrice aviaire chez Colossal.

Un financement colossal pour un projet hors normes

L'autre nouvelle marquante est financière. Colossal Biosciences vient tout juste d’annoncer avoir sécurisé 120 millions de dollars supplémentaires, portant son financement total à 555 millions de dollars avec une valorisation de 10,3 milliards.

On trouve parmi les investisseurs, des personnalités aussi diverses que Peter Jackson, réalisateur du « Seigneur des anneaux », Tom Brady ou Paris Hilton.
Ce financement va permettre d’allouer des moyens considérables pour poursuivre l'exploration du principe de déextinction qui pourrait être appliqués à la renaissance d'espèces éteintes comme le mammouth laineux, le tigre de Tasmanie, le moa géant ou le loup sinistre, autant de sujets sur lesquels Colossal a fait des annonces.

Et Colossal veut aller vite : l'entreprise prévoit d’observer les premiers dodos vivants, son premier sujet de déextinction, d’ici cinq à sept ans.

Dé-extinction : prouesse ou mirage ?

Si l’objectif fascine, il ne s’agit cependant pas de cloner parfaitement le dodo d’origine, mais de créer un oiseau présentant ses principaux traits distinctifs grâce au transfert des gènes uniques identifiés dans des spécimens conservés.

Dodo oiseau cybernetique

Des voix dissonantes s’élèvent : « Même avec le meilleur des génies génétiques, il est impossible de recréer à 100% une espèce disparue. La biologie d’un animal dépend de facteurs environnementaux impossibles à reproduire », soulignent certains chercheurs.

Les experts font valoir plusieurs critiques sur le processus : le résultat obtenu serait dans tous les cas un hybride, proche génétiquement mais jamais totalement identique. Par ailleurs, les interactions avec l’écosystème d’origine ne peuvent être reconstituées à l'identique.

De fait, puisque l'animal recréé ne sera pas identique à l'original, une question se pose : ce « nouveau dodo » méritera-t-il vraiment ce nom ?

Implications éthiques et environnementales à long terme

L’initiative de Colossal Biosciences ne fait pas l’unanimité parmi les défenseurs de la biodiversité. Certains scientifiques alertent sur un possible détournement de l’attention autour des espèces menacées actuelles.

« Labeliser des hybrides comme ‘espèces ressuscitées’ pourrait encourager la négligence face à la destruction des habitats et au changement climatique, principales causes de disparition, » résume un biologiste d’Oxford.

Colossal Biosciences souris laineuse

La souris laineuse, avant-goût du mammouth (credit : Colossal Biosciences)

En revanche, les technologies mises au point pourraient s’avérer précieuses pour maintenir ou enrichir la diversité génétique d’espèces contemporaines en péril. Modifier certains gènes, détecter et insérer des variantes protectrices issues de prélèvements historiques : la frontière entre science-fiction et réalité se réduit.

L’expérience du dodo servira de modèle expérimental à d’autres projets, qu’il s’agisse de revitalisation de populations exsangues ou de lutte contre la propagation de maladies. Mais pour nombre d’écologues, la priorité reste claire : éviter l’extinction dès le départ.

Un projet controversé, emblématique de nouvelles frontières scientifiques

L’essor de la dé-extinction, soutenu par des moyens inédits et des investisseurs au profil parfois inattendu, soulève une question de société : jusqu’où pousser le pouvoir de la génétique ?

La résurrection du dodo n’est-elle qu’une fantaisie digne de « Jurassic Park » ? Pour ses promoteurs, elle incarne un « moment Dolly », référence au premier clone animal, mais pour ses détracteurs, elle rappelle les limites actuelles de la science.

La première apparition publique du nouveau dodo est attendue, sous surveillance scientifique, dans une réserve de Maurice. Ce test grandeur nature déterminera si l’ambition, aussi audacieuse soit-elle, peut vraiment réenchanter la biodiversité ou n’est qu’un effet d’annonce.