La startup Dark, qui ambitionnait de devenir le "GIGN du spatial", ferme ses portes. Malgré ses levées de fonds, son échec expose les failles du New Space français : un manque de doctrine étatique et de contrats à long terme, la laissant sans ancrage stratégique durable face à la concurrence internationale.
Fondée en 2021, l'entreprise Dark incarnait une nouvelle vague d'ambition pour la souveraineté spatiale française. Portée par Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, deux anciens du missilier MBDA, elle développait un intercepteur capable de capturer et désorbiter des objets en orbite basse.
Après avoir levé environ 10,5 millions d'euros et annoncé son installation à Bordeaux-Mérignac, la société a finalement annoncé la cessation de ses activités, faute d'un modèle économique viable.
Une ambition née d'un contexte stratégique
Dark n’est pas née de rien. Son émergence s'inscrivait dans un contexte très porteur, celui d'une France qui se rêvait en puissance orbitale de nouvelle génération.
Avec le plan France 2030 et la création du Commandement de l’espace, l’État affichait clairement sa volonté de soutenir des acteurs agiles pour répondre à la militarisation grandissante de l'orbite. L'objectif de Dark, avec son système Interceptor, répondait parfaitement à ce besoin de protection des actifs spatiaux et de gestion des débris, un enjeu à la fois civil, militaire et durable.
Le mur de la réalité : un écosystème sans colonne vertébrale
Pourtant, le projet s’est heurté à l'implacable réalité économique et structurelle. Le problème n’était ni le talent, ni le capital de départ. Dark a su attirer des investisseurs de renom.
Le nœud du problème est ailleurs. Comme l'explique l'équipe dans son communiqué, poursuivre l'aventure "sans ancrage aurait signifié transformer Dark en un modèle fragile dépendant d’un seul client".
Cette déclaration met en lumière la fragmentation de l'écosystème entre le CNES, la DGA et la DGAC, et surtout, l'absence de contrats publics pluriannuels qui transformeraient les startups en véritables partenaires stratégiques.
Des modèles étrangers où la doctrine précède le marché
La comparaison avec les modèles étrangers est particulièrement éclairante. Aux États-Unis, des structures comme la Defense Innovation Unit (DIU) créent un pont solide entre l'innovation privée et les besoins militaires, offrant des contrats à long terme à des sociétés comme Anduril ou True Anomaly.
Au Japon, Astroscale est devenue une référence mondiale de la maintenance orbitale grâce à une alliance précoce entre capitaux privés et soutien de l'agence spatiale JAXA.
Dans ces pays, l'État définit un besoin, structure la demande et sécurise les financements. En France, cette articulation reste encore embryonnaire, laissant les startups dans une zone grise périlleuse.
La propriété intellectuelle de Dark restera française et ses ingénieurs ont déjà rejoint d’autres acteurs de la filière. Mais cet échec laisse un goût amer et pose une question fondamentale pour l'avenir : la France saura-t-elle enfin bâtir le cadre doctrinal et industriel qui permettra à ses prochaines pépites spatiales de passer de la promesse à la pérennité ?