Une équipe internationale d'astronomes a observé pour la première fois un trou noir tordant activement le tissu de l'espace-temps. En étudiant l'événement AT2020afhd, où une étoile est déchiquetée, ils ont détecté une oscillation synchronisée du disque d'accrétion et des jets de matière, confirmant la précession de Lense-Thirring prédite par la relativité générale il y a plus d'un siècle.
Plus d'un siècle après sa formulation, l'une des prédictions les plus fascinantes de la relativité générale vient de trouver une confirmation éclatante. Théorisé dès 1918 par les physiciens Josef Lense et Hans Thirring, l’effet Lense-Thirring, ou "entraînement des référentiels", postule qu’un corps massif en rotation ne se contente pas de courber l'espace-temps, mais qu'il le tire et le tord dans son sillage.
Si cette prédiction théorique a été mesurée à des échelles infimes autour de la Terre, son observation directe dans l'environnement extrême d'un trou noir restait un défi majeur pour les astrophysiciens, jusqu'à cette récente déchirure stellaire.
Un spectacle cosmique scruté à la loupe
Le point de départ de cette découverte est un événement cosmique d'une violence inouïe, baptisé AT2020afhd. Il s'agit d'un événement de rupture par effet de marée, ou TDE (Tidal Disruption Event), qui se produit lorsqu'une étoile s'aventure trop près et se fait littéralement déchiqueter par un trou noir supermassif.
Représentation du disque d'accrétion causé par une étoile avalée par un trou noir
Les forces de marée colossales de l'astre compact étirent l'étoile jusqu'à la transformer en un long filament de matière, un processus imagé surnommé "spaghettification".
Les débris de l'étoile sacrifiée ne sont pas immédiatement absorbés, mais forment un disque d'accrétion tourbillonnant à très haute vitesse autour du trou noir. Simultanément, une partie de cette matière est expulsée sous forme de jets de plasma à des vitesses proches de celle de la lumière.
C'est en combinant les données de l'observatoire Swift de la NASA pour les rayons X et du Very Large Array (VLA) pour les ondes radio que les scientifiques ont pu analyser ce spectacle cataclysmique en détail, dont les résultats sont publiés dans Science Advances.
La signature d'une danse prédite il y a un siècle
Contrairement aux TDE observés jusqu'ici, qui présentaient des signaux radio stables, AT2020afhd a révélé des variations rapides et rythmiques. Les chercheurs ont détecté une oscillation synchronisée à la fois dans les émissions de rayons X du disque et dans les signaux radio des jets, se répétant selon un cycle régulier de 20 jours.
Ce ballet cosmique parfaitement coordonné ne pouvait être attribué aux simples fluctuations d'énergie autour du trou noir. Il s'agissait de la signature claire de la précession de Lense-Thirring, la preuve la plus convaincante jamais obtenue de ce phénomène.
Comme l'explique le Dr Cosimo Inserra de l'Université de Cardiff, l'un des co-auteurs de l'étude, l'effet est comparable à « une toupie en rotation qui entraînerait l'eau autour d'elle dans un tourbillon d'eau ».
Ici, le trou noir en rotation rapide entraîne le tissu même de l'espace-temps dans sa danse, forçant le disque de matière et les jets à osciller de concert. Cette observation valide une prédiction centenaire et offre une vision tangible de la manière dont la gravité extrême façonne l'univers.
Plus qu'une confirmation, une nouvelle fenêtre sur l'univers
Cette découverte dépasse le simple cadre de la confirmation théorique. Elle fournit aux scientifiques une nouvelle méthode d'investigation pour sonder les propriétés les plus fondamentales des trous noirs, notamment leur vitesse de rotation, ou spin du trou noir.
L'analyse de cette oscillation permet de mieux comprendre la physique complexe des disques d'accrétion et les mécanismes à l'origine des puissants jets relativistes. Le phénomène met en lumière le concept de "champ gravimagnétique", un équivalent gravitationnel du champ magnétique généré par un objet chargé en rotation.
En décryptant ces mécanismes fondamentaux, les astronomes peuvent affiner leurs modèles sur la manière dont les trous noirs interagissent avec leur environnement cosmique et influencent l'évolution des galaxies.
Chaque événement de ce type est un rappel saisissant que le ciel nocturne, loin d'être figé, est une scène où se jouent des phénomènes extraordinaires. Cette avancée ouvre la voie à de nouvelles découvertes, promettant d'identifier d'autres manifestations de la physique extrême dans les années à venir.