Le paysage automobile américain, dominé par la dynamique des véhicules électriques, a longtemps été marqué par l’ascension fulgurante de Tesla auprès d’une clientèle jeune, urbaine et progressiste.
Mais depuis 2022, la trajectoire commerciale du constructeur connaît une inflexion sans précédent. L’élément déclencheur ? L’investissement personnel et financier d’Elon Musk dans l’arène politique, jusqu’à la direction du controversé Departement of Government Efficiency (DOGE) sous l’administration Trump.
Une étude des économistes de Yale et du NBER vient quantifier ce virage : entre octobre 2022 (date du rachat du réseau social Twitter transformé depuis en X, qui a accaparé l'attention de Musk au détriment de la gestion de Tesla) et avril 2025, Tesla aurait perdu l’équivalent de 1 à 1,26 million de ventes sur le seul marché américain.
Un effet “Musk” qui bouleverse l’équilibre des ventes
Pour comprendre la portée de cette baisse, les chercheurs ont analysé les données de ventes croisées à l’échelle de plus de 3 000 comtés, du cœur du Midwest aux bastions urbains démocrates.
Avant le rachat de Twitter/X, la progression de Tesla y semblait inéluctable..jusqu’à ce que les interventions politiques de Musk, son engagement financier massif pour le camp conservateur et sa forte médiatisation ne provoquent une rupture nette.
Dans les comtés les plus démocrates, là où Tesla séduisait auparavant par une image innovante et tournée vers la transition énergétique, la marque s’est trouvée largement délaissée en faveur d’autres électriques et hybrides, dont les ventes ont bondi de 17 à 22 %.
Les consommateurs n’ont donc pas renoncé à l’électrique, mais ont délibérément évité le logo Tesla pour des raisons d’image ou de valeurs.
Une politique sans contrepartie sur le “marché républicain”
Le pari de conquérir une nouvelle clientèle traditionnellement moins portée sur l’innovation électrique n’a pas payé. D’après l’étude, non seulement Tesla n’a pas séduit davantage de clients conservateurs après ce repositionnement, mais les ventes dans ces zones sont restées globalement stables, sans compenser la désaffection massive ailleurs.
Cette réalité confirme l’analyse des chercheurs : la notoriété et la politisation croissante d’Elon Musk ont simplement déplacé les acheteurs vers la concurrence.
Ainsi, loin d’agrandir le socle de clients, l'"effet partisan de Musk" a isolé Tesla sur sa propre niche, tout en impactant durablement la dynamique du marché électrique américain.
Même en Europe, où la Model Y reste numéro un des ventes, le phénomène est observable, avec un ralentissement des immatriculations et une perte de part de marché dans plusieurs pays.
Tesla à la croisée des chemins : quelles perspectives ?
Les conséquences de ce divorce latent entre Tesla et son public historique vont bien au-delà des seuls chiffres de ventes. Le phénomène interroge la capacité de la marque à retrouver un élan fédérateur, sous la houlette de son patron désormais engagé dans des débats clivants.
Certains analystes poussent même le conseil d’administration à imposer des garde-fous (l'emprise de Musk sur le conseil, avec des administrateurs particulièrement favorables, est connue) afin de protéger l’entreprise d’un mélange trop étroit entre stratégie d’entreprise et ambitions personnelles.
Pour l’heure, la firme tente une réorientation vers la robotique et la conduite autonome, mais l’efficacité de ce virage reste incertaine. La question centrale demeure : Tesla saura-t-elle renouer avec une dynamique de croissance inclusive ou risque-t-elle de s’enfermer durablement dans un repli identitaire, alors que les enjeux de la mobilité propre n’ont jamais été aussi cruciaux ?