L'affaire qui a mené à ce tournant majeur est emblématique. Tout part de Publicis Sapient France, où un directeur associé est licencié en mars 2018 pour des faits graves de harcèlement sexuel. L'enquête interne dresse un portrait accablant : propos obscènes, chantage, humiliations…
Mais la procédure de licenciement, elle, souffre de lacunes flagrantes. Sur quatorze témoignages recueillis, seuls cinq comptes-rendus sont fournis, et encore, tronqués ou caviardés. L'entreprise invoque l'anonymat des témoins, sans preuve tangible.
Pour les juges, c'est inacceptable. Comment juger la réalité des faits quand l'essentiel des preuves est dissimulé ? Cette production incomplète a semé le doute, affaiblissant d'emblée la position de l'employeur. C'est dans ce contexte tendu que le salarié a réclamé l'accès à ses e-mails professionnels, marquant un point de bascule pour le droit du travail.

Vos e-mails professionnels sont-ils désormais des données personnelles ?

C'est la question centrale que la Cour de cassation a dû trancher, et sa réponse est claire : oui ! Dans un arrêt rendu le 18 juin 2025, la plus haute juridiction française a déjugé Publicis, qui considérait ces correspondances comme la propriété de l'entreprise.
En s'appuyant sur le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), les juges ont estimé que les e-mails contiennent nécessairement des expéditeurs et destinataires identifiables. Et cela suffit à en faire des données personnelles au sens de l'article 4 du RGPD, même dans un cadre professionnel.
L'employeur devient de fait "responsable de traitement" et doit respecter les droits d'accès de ses salariés. Concrètement, l'entreprise est désormais tenue de fournir une copie complète des e-mails : contenu, métadonnées, horodatage, destinataires.
La seule limite, et elle est de taille, est la protection des droits et libertés d'autrui, ainsi que le secret des affaires. Cette décision marque un revirement jurisprudentiel majeur, qui va animer bien des débats entre transparence et confidentialité.

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Quelles sont les limites à ce nouveau droit d'accès pour les salariés ?

Attention, ce nouveau droit n'est pas illimité. La Cour de cassation, tout en élargissant l'accès, a rappelé la nécessité d'un équilibre. L'article 15 §4 du RGPD stipule que le droit d'obtenir une copie des données ne doit pas "porter atteinte aux droits et libertés d'autrui".
Cela signifie que l'employeur, en tant que responsable du traitement, a l'obligation d'effectuer un filtrage rigoureux et proportionné des e-mails avant de les communiquer. Ce processus peut impliquer de masquer les informations sensibles, d'anonymiser des tiers mentionnés, ou de protéger le secret des affaires (informations stratégiques ou confidentielles de l'entreprise). Le secret des correspondances privées entre collègues, par exemple, est également protégé.
Le filtrage peut être fastidieux, surtout si la boîte mail contient un grand volume de messages, mais il est indispensable pour respecter la loi. En cas de demande "manifestement infondée ou excessive", l'employeur peut refuser, mais ce refus doit être justifié et motivé, sous peine de sanction. Cette décision apporte une nouvelle couche de complexité dans la gestion des ressources humaines.

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Ce tournant va-t-il transformer les litiges au travail ?

Cette décision de la Cour de cassation n'est pas qu'une simple clarification juridique ; elle opère un véritable renversement de logique. Elle ne s'attache plus seulement à l'outil (la messagerie professionnelle) ou à la fonction du salarié, mais à la personne elle-même en tant que sujet de droit, titulaire de garanties fondamentales.
Pour les salariés et les cadres qui échangent de nombreux e-mails au quotidien, cet arrêt ouvre de nouvelles perspectives dans les litiges prud'homaux. Ils pourront désormais utiliser leur boîte mail pour prouver une surcharge de travail (horaires d'envoi tardifs, volume de messages), étayer une plainte pour harcèlement moral (échanges internes avec des critiques déplacées, isolement), ou encore documenter une discrimination (attribution de tâches, niveaux de sollicitation).
Le droit d'accès devient un outil stratégique, utilisable avant même de saisir un juge, permettant de constituer un dossier solide. C'est une judiciarisation potentielle accrue des relations de travail, où les données personnelles se transforment en véritables armes procédurales.

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Foire Aux Questions (FAQ)

Que signifie la décision de la Cour de cassation concernant les e-mails professionnels ?

La Cour de cassation a statué que les e-mails professionnels sont des données à caractère personnel.
Cela signifie que, selon le RGPD, un salarié (même licencié) a le droit d'en demander l'accès et d'en obtenir une copie complète (contenu, métadonnées, etc.), sous certaines conditions.

L'employeur peut-il refuser l'accès aux e-mails professionnels demandés par un ex-salarié ?

Oui, mais seulement sous des motifs légitimes, comme la protection de la vie privée d'autres personnes, le secret des affaires ou si la demande est manifestement excessive.
Le refus doit être justifié et motivé par l'employeur, qui doit aussi filtrer ou anonymiser les informations sensibles avant communication.

Cette décision a-t-elle un impact sur les procédures de licenciement ou les litiges au travail ?

Oui, elle renforce la position du salarié.
Les e-mails professionnels peuvent désormais servir de preuves pour contester un licenciement, démontrer une surcharge de travail, ou appuyer des accusations de harcèlement ou de discrimination.
Le droit d'accès devient un outil stratégique pour les contentieux prud'homaux.