La physique quantique s'ouvre à de nouvelles découvertes : pour la première fois, une équipe internationale de scientifiques est parvenue à créer et observer une phase de la matière jusqu’alors jugée théorique.

Au cœur de cette percée, un processeur quantique de 58 qubits développé par Google en partenariat avec la Technical University of Munich (TUM), repoussant les frontières des expériences scientifiques classiques. 

Ces nouvelles perspectives sur la matière elle-même et ses changements de phase ont été détaillées dans un article publié dans la revue Nature.

Une phase de la matière au-delà des lois traditionnelles

Jusqu’à présent, les phases de la matière (solide, liquide, gaz, plasma…) étaient définies par l’équilibre du système. Mais la physique moderne révèle qu’en poussant certains systèmes hors de cet équilibre, des structures inédites peuvent surgir, bien loin des concepts classiques.

Lors de cette expérience, des chercheurs ont activé un type de phase dite « Floquet topologique », caractérisée par un ordre qui n’existe que grâce à une excitation rythmique du système. Cette phase, théorisée depuis des années, restait inaccessible à tout dispositif expérimental.

« Notre résultat montre que les processeurs quantiques ne sont pas de simples calculateurs : ce sont de vrais laboratoires pour sonder et découvrir de nouveaux états de la matière », explique Melissa Will, doctorante à Munich et première autrice de l’étude.

Une prouesse technique : l’intelligence quantique au service des sciences fondamentales

Le processeur quantique de 58 qubits supraconducteurs utilisé permet d’atteindre un niveau d’entrelacement quantique très difficile, voire impossible à simuler par des méthodes classiques.

L’équipe est parvenue à mettre en évidence deux signatures typiques des systèmes topologiques de Floquet : des modes de bord chiraux et des particules appelées « anyons », capables de se transformer dynamiquement.

Grâce à un algorithme interférométrique, une information capitale a été extraite, à savoir les transmutations de ces particules sous forme de signatures dynamiques uniques, prédites mais jamais vues jusqu’ici dans cette classe de systèmes.

Découverte fondamentale ou premier pas vers des technologies inédites ?

Si la découverte de cette phase exotique reste, pour l’instant, du domaine de la recherche fondamentale, les implications théoriques abondent.

Comprendre comment ces « phases hors équilibre » émergent pourrait accélérer la mise au point de dispositifs quantiques robustes, notamment pour la correction d’erreurs en informatique quantique. Certains spécialistes imaginent déjà l’adaptation de ces techniques à d’autres plateformes, comme les atomes neutres ou les ions piégés.

Cependant, de grands défis demeurent : l’expérience a révélé la fragilité de l'ordre topologique face aux erreurs et à la décohérence quantique. Les signatures dynamiques observées sont restées limitées dans le temps, preuve que le chemin vers un ordinateur quantique topologique, résistant au bruit, reste semé d’embûches.

Les chercheurs insistent : le lien avec le calcul topologique, décrit comme un « Graal » pour l’industrie, est avant tout conceptuel. Il ne s’agit pas encore d’une percée pratique pour la cryptographie ou la simulation de nouveaux matériaux.

Vers une nouvelle cartographie de la matière et de l’information

L’exploration des états dynamiques hors équilibre ouvre une perspective inédite pour la physique : celle de cartographier un territoire jusqu’ici inatteignable. L’usage de processeurs quantiques comme « laboratoires expérimentaux » permet de révéler des invariants, des comportements collectifs et des ordres globaux qui défient les concepts traditionnels de thermodynamique.

Il faudra de nouveaux paramètres d’ordre, adaptés à ces systèmes entraînés de manière périodique, pour les caractériser et, à terme, mieux comprendre leur potentiel.

Cette approche laisse entrevoir autant de pistes scientifiques qu’applicatives : de la compréhension du transport de l’information dans les systèmes topologiques à la mise au point d’algorithmes ultra-résistants au bruit.

Les outils développés (mesures interférométriques, cartographies d’énergies, tests de robustesse…) pourront également s’appliquer à la recherche de nouveaux types d’ordres dynamiques, tels que les cristaux temporels ou les phases protégées par symétrie.

Un nouveau chapitre pour la science quantique

Bien que les applications pratiques ne soient pas immédiates, cette découverte trace le sillon pour une science des matériaux, de l’information et de la simulation quantique devenue enfin accessible à l’expérience.

Comprendre et exploiter les états de la matière qui sortent des sentiers battus, conduira peut-être, à terme, à de nouveaux réseaux informatiques, des détecteurs ultra-sensibles ou des processus énergétiques inédits.