En 1867, Lord Kelvin proposait une idée élégante mais finalement erronée : les atomes seraient de minuscules nœuds complexes tissés dans l'éther. Bien que la découverte de la véritable nature des atomes ait relégué cette théorie aux oubliettes, des physiciens japonais viennent de lui donner une nouvelle vie spectaculaire.
Leur étude suggère que des "nœuds cosmiques" similaires ont peut-être joué un rôle décisif juste après le Big Bang, en favorisant la matière sur l'antimatière et en expliquant ainsi la simple existence des étoiles, des galaxies, et de nous-mêmes.
Représentation d'un noeud de soliton, le fameux noeud cosmique
(credit : Hiroshima University)
L'étude, publiée dans Physical Review Letters, aborde l'un des plus grands mystères de la physique : l'asymétrie matière-antimatière. Selon la théorie du Big Bang, l'univers aurait dû naître avec des quantités parfaitement égales de matière et d'antimatière.
Celles-ci se seraient immédiatement annihilées, ne laissant derrière elles qu'un cosmos rempli de lumière. Pourtant, nous observons un univers presque entièrement composé de matière.
La conjugaison des symétries
Le Modèle Standard, malgré ses succès, est incapable d'expliquer ce minuscule surplus (environ une particule de matière pour chaque milliard de paires matière-antimatière) qui a permis de tout créer.
Ce puzzle, connu sous le nom de baryogenèse, reste l'une des questions les plus fondamentales de la science.
L'équipe de recherche, menée par Muneto Nitta de l'Université d'Hiroshima, a réussi un tour de force théorique en combinant deux extensions populaires du Modèle Standard : la symétrie B-L (Baryon Number Minus Lepton Number) et la symétrie de Peccei-Quinn (PQ).
Différentes solutions pour les noeuds cosmiques
(credit : Hiroshima University)
C'est la première fois que ces deux théories sont étudiées ensemble, et leur interaction s'est révélée être la clé. Selon les chercheurs, cette combinaison est la première à démontrer qu'un modèle réaliste de physique des particules peut naturellement former des nœuds stables dans l'univers primitif.
Voici comment cela fonctionnerait : la symétrie PQ est connue pour résoudre un autre casse-tête (le "problème CP fort") et, ce faisant, introduit l'axion, un des principaux candidats pour la matière noire.
De son côté, la symétrie B-L offre une explication élégante à la masse des neutrinos. L'astuce de l'équipe a été de "jauger" la symétrie B-L (lui permettant d'agir localement) tout en gardant la symétrie PQ "globale".
Cette configuration crée les conditions parfaites : la rupture de la symétrie B-L produit des "cordes cosmiques" (des tubes de flux magnétique), tandis que la rupture de la PQ crée des vortex superfluides sans flux.
Des reliques cosmiques enchevêtrées
Prises séparément, ces deux structures seraient instables et disparaîtraient. Mais le modèle montre qu'elles peuvent s'emboîter de manière stable. Le vortex PQ s'accroche au tube B-L et lui injecte une charge, neutralisant la tension qui le ferait normalement s'évanouir.
Le résultat est un "soliton de nœud", une configuration topologique métastable qui peut persister. "Personne n'avait étudié ces deux symétries en même temps," souligne Muneto Nitta. "Les assembler a révélé un nœud stable."
Ces nœuds auraient ensuite brièvement dominé l'univers. Alors que le rayonnement perdait de l'énergie à mesure que l'univers s'étendait, ces nœuds se comportaient comme de la matière, et leur densité d'énergie a fini par surpasser tout le reste.
Mais cette "ère des nœuds" n'a pas duré. Finalement, les nœuds ont commencé à se "dénouer" grâce à un processus purement quantique : l'effet tunnel quantique.
Les grands-parents de la matière
C'est l'effondrement de ces nœuds qui aurait résolu le mystère de notre existence. Leur désintégration a produit une "douche" de particules, y compris des neutrinos lourds (dits "right-handed"), une conséquence directe de la symétrie B-L intégrée dans la structure du nœud.
Au tout début, avant la domination de la matière, étaient les noeuds cosmiques...
(credit : Muneto Nitta/Hiroshima University)
C'est là que réside la solution : ces neutrinos lourds se sont ensuite désintégrés en particules plus légères, mais avec un léger biais favorisant la matière sur l'antimatière.
Ce minuscule surplus, généré par la désintégration des neutrinos issus des nœuds, est exactement ce qu'il fallait pour que la matière survive à l'annihilation. "Ces neutrinos lourds sont les parents de toute la matière aujourd'hui, y compris nos propres corps," explique Yu Hamada, co-auteur de l'étude.
Le modèle calcule même que ce processus aurait réchauffé l'univers à 100 GeV, la température idéale et la dernière fenêtre d'opportunité pour que les réactions électrofaibles convertissent le déséquilibre des neutrinos en la matière que nous connaissons.
Une signature à écouter
Le plus fascinant est que cette théorie n'est pas seulement élégante ; elle est testable. Une ère dominée par les nœuds, suivie de leur effondrement violent, aurait profondément remodelé le "chœur" d'ondes gravitationnelles de l'univers primitif, en décalant sa puissance vers des fréquences plus élevées que celles prévues par les modèles standards.
Cette signature unique pourrait être détectée par la prochaine génération d'observatoires d'ondes gravitationnelles. Des projets comme LISA (Europe), Cosmic Explorer (États-Unis) et DECIGO (Japon) auront la sensibilité nécessaire pour écouter ce "bourdonnement" spécifique dans l'espace-temps.
Ces futures expériences pourront donc tester directement si l'Univers a vraiment connu une ère dominée par les nœuds, liant peut-être définitivement une idée du 19e siècle à la réponse de notre existence.