Le secteur de l'intelligence artificielle n'a plus de limites et accumule les milliards pour bâtir des infrastructures géantes censées leur apporter une capacité de traitement incomparable au prix d'un abandon des contraintes environnementales en matière d'émissions de CO2 et de consommation d'énergie ou d'eau.

Pourtant, dans cette course au gigantisme, l'irruption de l'IA chinoise DeepSeek a rappelé que les modèles d'IA n'ont pas forcément besoin de miser sur la puissance brute pour être efficientes.

Luc Julia, spécialiste français de l'IA qui a participé à la conception de l'assistant virtuel Siri d'Apple et est désormais en charge de l'intelligence artificielle chez Renault, veut rappeler dans un nouvel ouvrage les limites des IA et les mensonges véhiculés par l'image des intelligences artificielles.

Winter (of IA) is coming

Il souligne combien "l'intelligence" de l'IA n'en est pas, du moins pas au sens humain, dans la mesure où elle n'a pas de capacité de création, seulement d'imitation et régurgitation de données existantes.

Et là où certains anticipent l'émergence d'une AGI, ou intelligence artificielle générale supérieure à l'homme et dotée d'une conscience, avant la fin de la décennie, Luc Julia s'agace et dénonce un mensonge qui peut être aveugle pour les naïfs ou cynique pour les cupides comme Sam Altman en quête de milliards de dollars pour compenser les coûts colossaux de ses modèles d'IA.

intelligence artificielle electricite IA

Ce qui inquiète plutôt Luc Julia, c'est la courbe de la hype que suit l'intelligence artificielle comme toute technologie de rupture. Selon lui, l'IA serait en haut de la courbe des attentes, générant des fantasmes de toute puissance ou de révolution totale de l'industrie hors de tout cadre rationnel.

La prochaine étape sera forcément la déception de ces espoirs trop forts et le retrait rapide des investissements face aux promesses non tenues. Luc Julia prédit ainsi un " hiver de l'IA " dont la durée est variable.

Cette phase est généralement suivie d'une ère de maturité avec des investissements moins importants mais plus réalistes sur le coeur de la technologie et la plus-value qu'elle constitue mais elle arrive au bout d'un temps pouvant se compter en années voire en décennies.

Grands modèles surpuissants vs IA frugales

Luc Julia n'est pas spécialement tendre avec le modèle américain de l'IA composé de modèles surpuissants alimentés par des centres de données extrêmement énergivores et à fort impact environnemental, que ce soit pour l'entraînement mais aussi pour l'inférence (le fonctionnement de l'IA).

Il fustige les usages futiles avec ces grands modèles, comme la création à la mode de Starter Packs ou d'images façon Studio Ghibli, en dénonçant la consommation de ressources faramineuse associée, dont les utilisateurs n'ont souvent pas conscience (ou refusent de l'entendre).

Shéma homme et intelligence artificielle face à face

Ces grands modèles d'IA sont importants mais leur usage devrait être encadré pour des utilisations qui justifient leur puissance. Dire bonjour ou remercier ChatGPT peut renforcer l'impression de tenir une conversation mais cela consomme énormément de ressources pour rien.

Luc Julia prône plutôt le retour aux systèmes experts, modernisés en MoE (Mixture of Experts), plus focalisés mais aussi plus frugaux et bien plus pertinents pour bon nombre de requêtes et de tâches ne demandant pas de grosses capacités de traitement et par extension ne nécessitant pas de grosses consommations de ressources.

Entre IA généraliste hyperpuissante et IA spécialisée efficace dans son domaine, son choix semble être fait. Les jeux ne sont pas faits et l'Europe a toujours une carte à jouer dans le domaine, la France en particulier grâce à ses compétences.

Mais cela passera aussi par une régulation sensée de l'intelligence artificielle par les pouvoirs publics pour en aménager un usage raisonné et en phase avec d'autres exigences de gestion des ressources.

Source : Le Figaro