L’histoire de la pomme de terre vient de connaître un véritable bouleversement. Si ce tubercule occupe depuis des millénaires nos assiettes et alimentaire toute une planète, ses origines précises restaient floues pour les experts.

Grâce à une étude d’ampleur internationale tout juste publiée, la filiation du plus célèbre des légumes racines bascule : la pomme de terre aurait pour ancêtre… une tomate.

Un choc scientifique qui invite à reconsidérer l’évolution des plantes cultivées, à l’heure où l’adaptation agricole redevient stratégique face aux menaces climatiques.

Une filiation insoupçonnée révélée par la génétique

Ce sont des chercheurs internationaux qui révèlent cette parenté surprenante. En analysant près de 450 génomes issus de pommes de terre cultivées et sauvages, l’équipe menée par la Chinese Academy of Agricultural Sciences a décelé des marqueurs communs avec un ancêtre direct de la tomate et une espèce cousine appelée Etuberosum.

L’hybridation, datée d’il y a environ 9 millions d’années, a permis à la lignée « petota » d’émerger. « Nous avons enfin résolu le mystère de l’origine de la pomme de terre », confie Sanwen Huang, co-auteur, à l’issue de cette prouesse génétique.

Cet événement singulier explique comment la « reine des tubercules » a acquis, via l’apport de la tomate, un patrimoine unique qu’aucun de ses cousins botaniques ne pouvait lui offrir génétiquement.

Un croisement providentiel à l’échelle de l’évolution

Avant cette découverte, tout semblait opposer la pomme de terre à la tomate. Ni l’apparence, ni le goût, ni l’usage dans nos cuisines ne trahissaient une telle proximité.

Pourtant, l’analyse fine du génome dévoile que l’ancêtre de la tomate a apporté un gène clé, nommé SP6A. « Ce gène agit comme un maître-interrupteur, ordonnant à la plante de former des tubercules », expliquent les chercheurs.

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Associé à un autre gène issu d’Etuberosum (IT1), il a rendu possible la formation de la pomme de terre telle que nous la connaissons, capable de stocker de l’énergie dans des organes souterrains.

Ce phénomène d’hybridation entre deux lignées qui n’interagissaient habituellement pas constitue un cas d’école en biologie évolutive. Un simple transport de pollen par un insecte, un événement rare, a pu provoquer l’apparition d’un groupe végétal totalement inédit. C’est ainsi qu’est née la pomme de terre moderne, alors que les Andes connaissaient d’importants bouleversements géologiques[.

L’avènement du tubercule : une arme gagnante de la nature

Grâce à cette mutation ancestrale, la pomme de terre s’est dotée d’un avantage considérable. Le tubercule lui permet de survivre dans des conditions extrêmes, stockant nutriments et eau pour mieux résister aux froids ou sécheresses des hauts plateaux andins.

Ce mode de reproduction « végétatif » – la production de nouveaux plants à partir du tubercule lui-même – explique sa prolifération rapide sur divers continents, sans dépendance totale à la pollinisation ou à la graine.

tomate patate illustration IA

Le vaste genre Solanum, auquel appartiennent à la fois pommes de terre, tomates et aubergines, compte ainsi plus de 1 500 espèces. Parmi elles, seules les pommes de terre issues de ce « coup du sort » génétique possèdent ce mécanisme de stockage souterrain.

Cette stratégie a ouvert la voie à une expansion spectaculaire, la pomme de terre devenant l’un des aliments de base de l’humanité, au même titre que le blé ou le riz.

Une révélation aux enjeux agricoles et alimentaires majeurs

Les implications scientifiques ne s’arrêtent pas au simple récit des origines. Comprendre l’origine génétique de la pomme de terre offre de nouvelles pistes pour renforcer la résilience des cultures.

En réintégrant certains gènes issus de la tomate ou d’autres espèces sauvages, les spécialistes pourraient créer des variétés plus tolérantes aux maladies, aux ravageurs ou au changement climatique, un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire mondiale.

« Nos résultats démontrent comment un événement d’hybridation a permis l’émergence de nouveaux caractères. Cela pourrait s’appliquer à d’autres espèces cultivées », souligne l’étude.

Les banques de gènes étudiées dans cette recherche servent déjà de vivier aux chercheurs pour imaginer la pomme de terre de demain, mieux armée face à la pression agricole et écologique.

Au-delà de la biologie, cette découverte éclaire également une curiosité terminologique : le mot « tomato » est dérivé du nahuatl « tomatl », alors que « potato » a influencé la forme actuelle du nom anglais « tomato ». Ces racines communes, tant linguistiques que scientifiques, font de la pomme de terre l’exemple type d’une histoire de famille… inattendue entre légumes stars du potager.