Une fuite de près de 800 pages de documents confidentiels russes, analysée par le think tank britannique Royal United Services Institute (RUSI), jette une lumière crue sur les coulisses de l'alliance entre Moscou et Pékin. Loin des déclarations officielles, la réalité est celle d'une coopération militaire qui pourrait redessiner l'équilibre des forces en Asie.

Au cœur des révélations : un accord militaire d'envergure visant à équiper et former un bataillon aéroporté de l'Armée populaire de libération chinoise. Ces documents, attribués au groupe hacktiviste Black Moon, détaillent des contrats et des échanges qui, bien que ne mentionnant jamais Taïwan explicitement, dessinent les contours d'une préparation offensive. La Chine, sous l'impulsion de Xi Jinping, a massivement modernisé son armée, mais certaines lacunes capacitaires demeurent. C'est précisément là que la Russie intervient.

Un contrat à 210 millions de dollars pour des capacités offensives

Les documents font état d'un accord dont la valeur dépasse les 210 millions de dollars. Il ne s'agit pas d'une simple vente d'armes, mais d'un transfert complet de capacités. Le contrat inclut la livraison de 37 véhicules d'assaut amphibies légers, 11 canons automoteurs antichars amphibies et 11 véhicules blindés de transport de troupes, en plus de véhicules de commandement.

chasseur furtif J-35 Chine 02

Cette coopération militaire est la pierre angulaire de l'accord. Fait notable, Pékin a exigé que tous ces engins soient compatibles avec ses propres systèmes de communication et ses munitions, signe d'une volonté d'intégration rapide et efficace au sein de ses forces.

Selon un document daté de septembre 2024, les premières phases de l'accord, initié en 2021, seraient déjà achevées, couvrant l'analyse technique et la fabrication des équipements. L'implication russe va bien au-delà de la simple fourniture, puisqu'elle inclut des sessions de formation directement en Chine.

Le 'Dalnolyot', ou comment pénétrer un territoire sans être détecté ?

L'un des aspects les plus préoccupants de cet accord concerne la livraison de systèmes de parachutage de très haute altitude. Connu sous le nom de "Dalnolyot", ce matériel est conçu pour larguer des charges allant jusqu'à 190 kg depuis une altitude de 8 000 mètres.

JiuTian porte drones Chine 02

À cette hauteur, les forces spéciales peuvent planer sur près de 80 kilomètres avant d'atterrir. Cette capacité permettrait à des commandos chinois de s'infiltrer en territoire ennemi, notamment taïwanais, sans que leurs avions ne violent l'espace aérien de l'île. C'est ce que les analystes du RUSI appellent une invasion de "stade zéro". Le système Dalnolyot pourrait ainsi servir à déployer secrètement des troupes d'élite pour préparer le terrain à une offensive de plus grande ampleur.

Les documents révèlent même une réunion tenue à Moscou en mars 2024, où la Russie s'est engagée à fournir des données sur les performances du système dans des conditions de froid extrême, jusqu'à -60 °C.

Plus que du matériel, une transmission d'expérience

Si la puissance militaire chinoise surpasse aujourd'hui largement celle de la Russie sur bien des aspects, Pékin souffre d'un déficit majeur : l'expérience du combat. La Russie, malgré ses déboires en Ukraine, possède des décennies de savoir-faire doctrinal et pratique dans les opérations aéroportées.

Pour les analystes Oleksandr Danylyuk et Jack Watling, la plus grande valeur de cet accord pour la Chine réside dans la formation au commandement et au contrôle des troupes aéroportées. L'aide de Moscou pourrait faire gagner "10 à 15 ans" au programme aéroporté chinois.

Cette transmission d'expérience du combat est cruciale. L'un des grands échecs russes en Ukraine fut l'incapacité à sécuriser des têtes de pont aéroportées, comme à l'aéroport d'Hostomel. La Chine semble déterminée à ne pas répéter cette erreur. Pour Moscou, l'intérêt est double : financer son effort de guerre en Ukraine et potentiellement entraîner Washington dans un conflit avec Pékin, détournant ainsi l'attention de son propre front. L'accord stipule que la Russie se chargera de former un bataillon complet en Chine, préparant les soldats aux manœuvres, au contrôle de tir et aux tactiques de débarquement, une leçon tirée de l'implacable réalité du terrain.

Bien que rien ne permette d'affirmer qu'une décision d'envahir Taïwan a été prise, la Chine s'équipe méthodiquement pour s'en donner les moyens. Cet accord montre que Pékin est en train de combler l'une de ses dernières faiblesses stratégiques, et la question n'est peut-être plus de savoir si l'option militaire sera choisie, mais plutôt quand elle deviendra viable.