Le programme européen SCAF, censé incarner l’avenir de l’aviation militaire européenne, suscite débat et rebondissements à la veille de décisions majeures.
Alors que l’Allemagne et l’Espagne expriment de sérieuses réserves quant à la gouvernance partagée, Dassault Aviation, maître d’œuvre et porte-étendard français, assume publiquement sa capacité à développer en autonomie un avion de combat de nouvelle génération.
Cette posture met à mal le projet d’une coopération qui devait renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe. Entre entreprises françaises et allemandes, la tension est forte, comme dans d'autres domaines technologiques.
Un projet européen divisé : la coopération remise en cause
Lancé en 2017 par la France et l’Allemagne, le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) s’est rapidement érigé en symbole de la défense collaborative européenne.
Rejoint ensuite par l’Espagne, ce méga-projet ambitionnait de remplacer à l’horizon 2040 les avions Rafale français et Eurofighter allemands et espagnols. Pourtant, la gouvernance partagée entre Dassault Aviation et Airbus, représentant allemand et espagnol, bute sur le pilotage technique et la répartition des tâches.
« Je veux bien que les Allemands râlent. Ici, on sait faire. S’ils veulent faire tout seuls, qu’ils fassent tout seuls », a lancé Éric Trappier, PDG de Dassault, lors d’une inauguration.
Cette formule s’inscrit dans un contexte où Berlin et Madrid envisagent des alternatives, frustrés par le blocage du partage industriel et la direction convoitée du projet.
Cette rivalité pose la question de l’efficacité du modèle européen partagé en matière de défense avancée. De fait, la situation actuelle ne répond pas aux attentes des partenaires : la France réclame de piloter le programme, tandis que ses homologues demandent plus d’équilibre.
Les négociations achoppent notamment sur le volet des droits de propriété intellectuelle et le démontage des barrières du leadership industriel, chaque camp mettant en avant son savoir-faire tout en laissant la porte ouverte à une forme de coopération encadrée.
SCAF : un bond technologique attendu mais un calendrier incertain
Le projet SCAF vise à doter l’Europe d’un avion de chasse de sixième génération à l’horizon 2035. Cette rupture technologique s’accompagne d’ambitions élevées : pilotage à distance, drones furtifs en formation, nouvelles armes comme les lasers, réseaux de capteurs, et rôle de relais numérique sur le champ de bataille.
Boeing F-47, avion de combat de 6ème génération pour 2028
« Un avion de 6e génération serait à la pointe de la technologie, même si les capacités précises de ses appareils ne sont pas encore toutes connues. » Ce niveau d’innovation place le SCAF dans une compétition mondiale, face au Boeing F-47 américain (qui doit débuter dès 2028), au J-36 chinois (dénomination supposée mais dont les essais en vol sont déjà en cours) ou au programme russe prévu pour 2050.
Le projet doit franchir une nouvelle étape, avec un contrat de 5 milliards d’euros à négocier pour la phase d’études suivante, mais la gouvernance reste floue. Le coût du programme, lui, pourrait dépasser les 100 milliards d’euros, soulevant la nécessité d’une direction claire et stable pour garantir sa réussite.
Dassault face au défi de la construction en solo : possible, mais à quelle condition ?
Face à la persistance des désaccords, Dassault Aviation affirme pouvoir concevoir l’avion de combat du futur « de A à Z ». Fort de 70 ans d’expertise aéronautique et de succès passés (Rafale, nEUROn), le groupe ne manque pas d’arguments pour justifier son autonomie technique.
La décision politique, pourtant, reste déterminante, car la France doit arbitrer entre leadership technologique et compromis européen. La gouvernance du projet demeure le nœud principal, Dassault voulant assumer le rôle d’architecte en chef pour garantir la performance attendue.
Les partenaires allemands et espagnols, quant à eux, recherchent une solution avant fin 2025. La problématique plus générale touche à l’autonomie stratégique européenne et à la crédibilité politique du Vieux Continent en matière de défense.
L’impasse autour du SCAF expose la difficulté de conjuguer expertise nationale et construction supranationale. Pendant ce temps, les autres blocs géographiques avancent leurs pions.