Faut-il croire que l’humanité pourra un jour atteindre les confins de la physique et tester la validité des lois d’Einstein face à un trou noir ? C’est le projet audacieux avancé par l’astrophysicien Cosimo Bambi, qui esquisse une mission de plusieurs décennies pour envoyer une sonde miniature jusqu’à l’horizon des événements du voisin cosmique le plus mystérieux.
L'idée, aussi folle puisse-t-elle paraître, est aujourd'hui portée par une vision scientifique résolument tournée vers l’exploration spatiale et l’innovation. Faut-il s’attendre à voir la physique changer de visage ?
Un rêve scientifique au coût astronomique : des milliards pour Einstein
Le concept, présenté en détail dans iScience, se conjugue à une ambition vertigineuse : créer un vaisseau miniature (ou nanocraft) aussi léger qu’un trombone et poussé par une source laser pour explorer le voisinage d’un trou noir situé à 20 ou 25 années-lumière de la Terre.
Selon Bambi, il faudrait mobiliser des ressources colossales – près de 1000 milliards de dollars – afin d’assembler les lasers terrestres capables de propulser cette sonde sur une « voile lumineuse », à un tiers de la vitesse de la lumière.
Cosimo Bambi indique qu’il s’agit, pour l’instant, d’une mission spéculative et difficile, et que la technologie n’est tout simplement pas encore disponible mais qu'elle pourrait l'être dans quelques décennies.
Le concept de Breaktrhough Starshot au milieu des années 2010
Le projet s’inscrit dans la lignée d’autres initiatives, telles que Breakthrough Starshot, mais promet d’aller encore plus loin en s’attaquant à l’environnement extrême d’un trou noir .
Repérer le voisin cosmique : la chasse aux trous noirs proches
L’étape préalable à tout lancement concerne l’identification d’un trou noir suffisamment proche. Pour Bambi et ses confrères, l’observation indirecte est la clé : les trous noirs n’émettent aucune lumière, et ne se révèlent qu’à travers l’influence qu’ils exercent sur les étoiles proches ou la distorsion de la lumière.
Les estimations récentes avancent qu’un astre de ce type pourrait se nicher à seulement quelques dizaines d'années-lumière du Soleil, mais leur invisibilité demeure un défi majeur.
Bambi table sur une avancée dans les méthodes de détection qui rendra la cible identifiable dans la prochaine décennie.
70 ans pour s’approcher du monstre, 20 ans pour en revenir
Si le trou noir est localisé, l’envoi d'un nano-vaisseau signifierait un voyage de 70 ans à travers l’espace, à des vitesses inédites. Quant aux précieuses données recueillies à proximité de l’horizon des événements, il faudrait patienter encore 20 ans pour leur retour jusqu’à la Terre.
Bambi estime ainsi à un siècle la durée totale de la mission, soit la portée d’une vie humaine, un exploit fascinant à l’échelle des ambitions spatiales actuelles. Sur place, plusieurs dispositifs pourraient recueillir les précieuses informations : l’un pourrait s’approcher encore plus (voire franchir l’horizon des événements) pendant que l’autre collectera les signaux et les transmettra, une stratégie qui permettrait de tester la propagation des ondes électromagnétiques à proximité d’un trou noir.
Défis techniques et enjeux physiques : Einstein à l’ultime test
Le cœur du projet est d’affronter les limites théoriques de la relativité générale. En se rendant près de l’horizon des événements, la mission vise à élucider plusieurs énigmes : l’existence et la nature précise de l’événement horizon, la validité des lois physiques dans ce champ gravitationnel extrême, et la vérification des prédictions d’Einstein lui-même.
L’expérimentation pourrait aussi permettre d’observer la dissipation progressive des signaux : "si un horizon des événements existe, le signal de la sonde s'en approchant se décalera vers le rouge et disparaîtra, phénomènes attendus des prédictions d'Einstein". Et si, au contraire, le trou noir s’avérait être un « fuzzball », la disparition brutale du signal ouvrirait de nouveaux horizons scientifiques.
Transition vers un nouveau paradigme scientifique
L’ensemble des spécialistes le confirme : la mission, « folle » en apparence, repose bel et bien sur des avancées concrètes : détection des ondes gravitationnelles, premiers clichés des trous noirs, modélisation numérique…
Le siècle écoulé a démontré à plusieurs reprises la capacité des chercheurs à concrétiser des exploits que l’on pensait impossibles. Cosimo Bambi cite par exemple le cas des ondes gravitationnelles, prédites mais que l'on pensait impossibles à détecter car trop faibles et pourtant elles l'ont été 100 ans plus tard grâce aux systèmes LIGO et VIRGO sur Terre tandis que la mission européenne LISA vise déjà à créer un détecteur géant, de 2,5 millions de kilomètres de côté, dans l'espace.