La publication scientifique dévoilée dans la revue Nature provoque un électrochoc. Selon les chercheurs, la glace de mer de l’Antarctique est en plein déclin depuis 2016, avec une accélération si brutale qu’elle ne semble plus réversible.
Les scientifiques parlent désormais de changements « abrupts » qui pourraient bouleverser à la fois les climats régionaux et la stabilité globale des océans. La situation apparaît d’autant plus préoccupante qu’elle se produit dans une zone longtemps perçue comme isolée et protégée des activités humaines.
Une réduction alarmante de la banquise
Les chiffres sont sans appel. Alors que le continent blanc s’apprête à atteindre son pic hivernal, la surface recouverte par la banquise antarctique est 1,3 million de km2 en dessous de ce qui était attendu pour la période de juillet, selon l'un des auteurs principaux de l'étude.
Pour mettre cette vision en perspective, cela correspond à la superficie combinée de la France, de l’Espagne et du Royaume-Uni réunis. Et la tendance est constante : depuis près de dix ans, les relevés mensuels témoignent d’une perte régulière.
Ces données laissent craindre une poursuite de la fonte, même si les émissions de gaz à effet de serre venaient à baisser rapidement. « De possible, ce basculement est désormais quasi inévitable », explique la chercheuse australienne Nerilie J. Abram.
Un système océanique en panne
Les experts relient ce phénomène à un mécanisme encore mal connu : la circulation de retournement antarctique. Comparable à l’Amoc dans l’hémisphère Nord, ce moteur des courants marins influence directement la répartition de la chaleur et des nutriments dans l’océan mondial.
Or, depuis plusieurs décennies, les premières observations indiquent un ralentissement d’environ 30 % de cette circulation, et les projections annoncent une chute supplémentaire de 40 % d’ici à 2050.
La cause principale ? La fonte de la calotte glaciaire qui libère une grande quantité d’eau douce, réduisant la salinité de l’océan. Ce phénomène perturbe la formation des eaux denses qui plongent vers les profondeurs, alimentant le courant. « Ces changements peuvent s’auto-renforcer, entre accélération de la fonte et affaiblissement du moteur océanique », explique Abram. Le continent blanc pourrait même se révéler plus vulnérable que l’Arctique face à ce mécanisme de bascule.
Des écosystèmes en péril
La disparition progressive de la banquise n’affecte pas seulement le climat. Elle menace également la biodiversité qui a évolué dans ces conditions extrêmes depuis des millénaires. Manchots empereurs, phoques, mais aussi d’innombrables organismes marins dépendent directement de la glace saisonnière comme refuge et comme base de chaînes alimentaires entières.
La réduction des habitats, couplée à la modification de la circulation océanique, pourrait provoquer un effondrement local de la faune et modifier la productivité de l’océan Austral, avec des répercussions bien au-delà des mers australes.
L’ombre des activités humaines
Longtemps perçue comme isolée, l’Antarctique subit pourtant désormais directement la pression du mode de vie humain. Outre le réchauffement lié aux combustibles fossiles, une étude récente montre que le tourisme n’est pas sans conséquences. Un seul visiteur sur la glace pourrait ainsi contribuer à la fonte de près de 100 tonnes de neige, selon les chercheurs.
Les spécialistes insistent : l’augmentation du trafic et la multiplication des activités dans la région perturbent des équilibres déjà fragiles. À ces facteurs s’ajoutent des vents plus chauds attribués au dérèglement climatique global, modifiant la dynamique atmosphérique et amplifiant encore le recul du pack de glace.
Vers un futur instable
Pour les chercheurs, il ne fait plus de doute que l’Antarctique entre dans une nouvelle ère marquée par l’instabilité et les transformations rapides. Au-delà de la fonte visible, les conséquences s’annoncent planétaires.
Une modification de la circulation de retournement agirait comme un amplificateur du changement climatique et pourrait influencer les régimes de précipitations de l’Amérique du Sud à l’Afrique.
À l’échelle géopolitique et économique, cela signifie une pression accrue sur les écosystèmes, les ressources halieutiques et les équilibres météorologiques mondiaux. La question n’est donc plus de savoir si l’Antarctique change, mais jusqu’où et à quelle vitesse ces bouleversements nous affecteront.