Dans le désert près de Reno, là où le soleil cogne fort, des rangées de panneaux solaires partagent désormais leur terrain avec d’imposantes batteries de véhicules électriques usagées, recouvertes de plastique blanc.
Leur rôle ? Alimenter deux data centers d'une plateforme cloud dédiée à l’intelligence artificielle, baptisée Crusoe. Cette scène marque une tendance lourde : la chasse féroce à une électricité fiable, notamment pour tenir la cadence fulgurante de l’IA.
En coulisses, alliances d’envergure et innovations techniques se multiplient pour répondre à la boulimie énergétique d’un secteur en plein boom – tout en esquivant quelques pièges stratégiques. Un nouvel écosystème énergétique s’esquisse en faisant appel à l'économie circulaire.
Des batteries usagées : le nouveau carburant des data centers
La demande en énergie des centres de données explose : selon le Département de l’Énergie américain, ils pourraient engloutir jusqu’à 12 % de l’électricité du pays d’ici 2028.
Cette poussée est largement alimentée par la croissance de l’intelligence artificielle. Pour y répondre rapidement, de nombreux acteurs texans misent déjà sur des centrales à gaz.
D’autres, dont Crusoe, tracent une voie différente en jumelant solaire et batteries de véhicules électriques : une combinaison qui séduit par sa rapidité d’installation et son côté renouvelable.
Selon Cully Cavness, président et cofondateur de Crusoe, « Toute l’industrie de l’IA galère pour accéder à plus de puissance, et vite ». Là où la solution « gaz » promet des mégawatts en un clin d’œil, le choix des batteries usagées se révèle tout aussi rapide mais bien plus vertueux sur le plan environnemental.
Redwood Materials, qui fournit ces batteries, affirme avoir déjà recyclé en 2024 plus de 20 gigawattheures de batteries lithium-ion – soit assez pour alimenter 250 000 voitures électriques.
Du côté technique, la simplicité est reine : ni tuyaux, ni pompes, juste une conception robuste et ultra-pratique à déployer. L’expérience grandeur nature menée dans le Nevada inspire confiance : si ça fonctionne ici, pourquoi ne pas répliquer la recette ailleurs ?
General Motors passe à l’offensive sur l’énergie du futur
Le constructeur General Motors ne compte pas rester simple spectateur. L’entreprise s’attaque désormais de front au défi du stockage énergétique. Un accord stratégique avec Redwood Materials vise à transformer aussi bien les batteries neuves que les « secondes vies » d’EV en solutions de stockage à grande échelle.
Site phare de cette alliance : un microgrid dans le Nevada capable de délivrer instantanément 12 mégawatts et doté d’une capacité totale de 63 mégawattheures.
Un vrai coup de pouce pour Crusoe qui, grâce à cette infrastructure, valide la pertinence de ce modèle énergétique hybride. « Le marché du stockage sur batterie et de l’alimentation de secours ne fait pas qu’augmenter, il devient une infrastructure clé », affirme Kurt Kelty, vice-président de GM. Au lieu de finir à la casse, ces batteries prolongent leur utilité, prouvant que leur seconde vie ne fait que commencer.
Cette stratégie s’inscrit dans une dynamique plus large : GM a déjà tissé des liens avec LG Energy Solution pour la fabrication de batteries LFP au Tennessee, tout en nouant des partenariats avec d’autres poids lourds du secteur.
Une filière encore jeune, mais déjà convoitée à l’international
L’engouement autour du recyclage des batteries se concrétise à coups d’investissements massifs. Malgré cela, le modèle économique reste incertain côté américain. La rentabilité pourrait se faire attendre, car le marché nord-américain reste volatil. À l’horizon 2028, l’essentiel des capacités de recyclage se situera en Asie et en Europe, où les modèles économiques apparaissent plus aboutis.
Autre point souvent mal compris : lorsqu’une batterie quitte la route, elle n’est pas bonne à jeter ! Elle peut certes avoir réduit un peu sa capacité et ne plus fournir de performances optimales dans les véhicules mais elle conserve une bonne partie utilisable de son énergie stockable.
Tout n’est alors pas perdu, loin de là : ces modules peuvent rester opérationnels encore plus de dix ans dans un microgrid, même si le secteur manque de recul pour certifier la durée de vie exacte.
Batteries, IA et microgrids : un trio taillé pour résister aux défis énergétiques
Ce qui distingue ce modèle, c’est la résilience : les microgrids s’affranchissent des contraintes des réseaux classiques. Mieux encore, ils se montrent plus économiques et rapides à déployer que de nouvelles centrales. La modularité prévaut, et la matière première circule littéralement sur les routes d'Amérique et d'ailleurs.
Dans ce contexte, le boom simultané des véhicules électriques et de l’intelligence artificielle génère un flux croissant de batteries usagées. L’écosystème a tout à y gagner, en repoussant toujours plus loin la frontière entre mobilité verte et technologies connectées.